Fondée à Zurich en août 2016, par 273 femmes âgée en majorité de plus de 70 ans, l’Association suisse des aînées pour la protection du climat a déposé à Berne, en novembre 2016, une requête visant l’adoption de mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de manière compatible avec les objectifs de l’accord de Paris.
Les Aînées n’ont jamais été en mesure d’obtenir ne serait-ce que l’examen de leur demande. Les «actions populaires», susceptibles d’être menées dans l’intérêt de la population en général, ne sont en principe pas recevables en Suisse.
En retard d’une guerre, le Tribunal fédéral?
Pour justifier le non-examen de leur recours, le Tribunal fédéral s’est même livré en mai 2020 à des pronostics d’un optimisme surprenant: selon lui un réchauffement climatique de 1,5 C° n’était «pas attendu dans un avenir proche», mais au contraire dans «un avenir moyen ou lointain», «vers 2040». Voilà qui semble audacieux.
Pourquoi? En juin 2022, les chercheurs canadiens Damon Matthews et Seth Wynes, de l’Université Concordia (Montréal) ont fait le bilan dans la revue Science: les activités humaines ont déjà provoqué une augmentation des températures mondiales de 1,25°C, et la trajectoire actuelle des émissions suggère un dépassement des 1,5°C avant dix ans.
Ils relèvent aussi que les principaux obstacles à l’obtention d’une trajectoire compatible avec l’accord de Paris ne sont pas d’ordre géophysique, mais résident dans l’inertie de nos systèmes politiques et technologiques.
Une «question grave», pour la Cour de Strasbourg
Les Aînées sont désormais plus de 2000, et les obstacles n’ont pas entamé leur détermination. Il est vrai que dans l’intervalle, la Cour EDH, qu’elles ont saisie en novembre 2020, a non seulement ordonné le traitement prioritaire de leur recours, mais l’a aussi attribué à sa Grande Chambre. Une voie réservée aux recours soulevant «une question grave relative à l’interprétation de la Convention ou de ses protocoles» ou susceptible de mettre en cause la jurisprudence de la Cour.
De nombreuses tierces parties sont intervenues à la procédure pour soutenir le recours des Aînées. Parmi elles, des ONG, des climatologues, des professeurs d’universités, des centres de recherches et même Michèle Bachelet, en sa qualité de Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme. A l’opposé, un certain nombre d’Etats européens sont intervenus pour plaider qu’il n’y aurait pas de lacune susceptible d’être comblée en droit international du climat.
Les questions dont la Grande Chambre est saisie sont nombreuses et complexes. Elles sont surtout cruciales: s’y jouera le rôle les droits humains en matière climatique. Peuvent-ils fonder une obligation de droit international imposant aux États des mesures de réduction d’émissions? C’est ce que les tribunaux des Pays-Bas ont retenu dans l’affaire Urgenda.
Un printemps clé pour la justice climatique
Jusqu’ici la Cour EDH ne s’est jamais prononcée. En cas d’admission du recours des Aînées, l’impact pourrait être majeur. Pour la Suisse, mais aussi pour l’Europe, voire dans le monde
L’audience des Aînées sera la première de trois audiences fixées pour trancher les trois premiers litiges «climatiques» dont la Cour EDH a été saisie: en mai suivra «l’affaire de Grande-Synthe» contre la France, en juin son équivalent portugais. C’est peu dire que cette prise de position est attendue avec impatience. Ce sera la première d’un printemps qui s’annonce décisif.
Titulaire d’une licence en droit de l’Université de Genève et d’un master en droit de Harvard, Corinne Corminboeuf Harari est avocate à Genève, où elle pratique la défense devant les tribunaux depuis plus de 25 ans. Passionnée par les questions environnementales, elle a récemment obtenu un master en sciences de l’environnement à l’Unige. Elle s’intéresse en particulier aux questions de justice climatique.