De quoi parle-t-on?
Le budget carbone représente la quantité de CO2 maximale que chaque personne peut émettre pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C — conformément aux objectifs fixés par l’accord de Paris.
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En combinant les derniers résultats du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) avec les données du GCP, nous estimons que le budget carbone restant pour 1,5°C pourrait être de seulement 260 GtCO2, soit environ 120 GtCO2 de moins qu’initialement prévu.
Si les émissions se poursuivent aux niveaux actuels, ce budget serait donc épuisé en six ans et demi environ.
Il serait toutefois réducteur de limiter le budget carbone à un chiffre. On passerait à côté d'un grand nombre de paramètres et d'incertitudes liés à son calcul, qui ont des implications pour la prise de décision politique.
Grâce aux immenses efforts du Global Carbon Project, nous savons à présent qu'il n'y a toujours aucun signe d’une réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre, qui serait pourtant nécessaire pour respecter les limites fixées par l'accord de Paris.
Pour ramener les émissions mondiales de CO2 à zéro d'ici à 2050, conformément à l’objectif de 1,5 °C, il faudrait qu'elles diminuent d'environ 1,4 GtCO2 par an, ce qui est comparable à la baisse enregistrée en 2020 en raison de la pandémie de la Covid-19.
Cette fois-ci, seul un changement structurel à long terme de l'économie peut inverser la tendance.
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Cela montre que l'ampleur du défi est immense, quel que soit le chiffre retenu pour le budget carbone, qui se réduit rapidement.
Derrière les budgets carbone, des calculs complexes
Au début de l’année 2020, le premier groupe de travail du Giec, lors de son sixième rapport d’évaluation, estimait alors qu’il ne nous restait que 500 GtCO2 de budget carbone.
Le défi mondial que représente la transition vers la neutralité carbone est immense:
En 2020 et 2021, ce budget a été entamé par des émissions mondiales de CO2 s'élevant à environ 70-80 GtCO2.
Le GCP montre que les émissions ont été plus élevées en 2022, passant à plus de 40 GtCO2 — à peine moins élevés que les niveaux records de 2019.
Si l'on reprend l'approche du Giec pour les calculs, il reste un budget carbone de 380 GtCO2 à partir du début de 2023, soit l'équivalent de neuf années d'émissions actuelles. C'est le budget cité par le Global Carbon Project.
Mais il pourrait s'agir d'une surestimation. L'évaluation du budget carbone restant est complexe. Comme une grande partie du budget total a déjà été émis, des améliorations relativement mineures des connaissances scientifiques peuvent avoir des répercussions importantes sur ces estimations.
Depuis la publication du rapport de la première partie du rapport du Giec en août 2021, certaines des preuves disponibles et des méthodologies utilisées pour calculer le budget ont été mises à jour. Cela est expliqué dans le dernier rapport ZERO IN du projet de recherche CONSTRAIN.
Dans l’ensemble, il s'agit d'améliorations globales des modèles climatiques, et de l'intégration de nouvelles connaissances sur la manière dont les émissions autres que le CO2 contribueront au réchauffement futur.
Le principal changement concerne le rôle des aérosols issus de la pollution atmosphérique, qui compensent actuellement une partie de l'effet de réchauffement du CO2. Au fur et à mesure que nous éliminerons les émissions de CO2, ces aérosols diminueront également, entraînant un effet de réchauffement relatif. Des données récentes ont permis d'augmenter la meilleure estimation de cet effet, ce qui se traduit par une réduction du budget carbone restant.
Cela signifie que le budget carbone restant pourrait être inférieur d'environ 120 GtCO2 par rapport aux prévisions.
(Pour plus de détails, voir l'encadré 3.4 du chapitre 3 de l'évaluation du groupe de travail 3 du GIEC).
Ceci est illustré dans le graphique ci-dessous, qui montre l'estimation originale du GIEC pour le budget 1,5°C à partir du début de 2020 (barre noire), l'estimation du Global Carbon Project à partir du début de 2023 (bleu) et notre mise à jour (vert). À titre de comparaison, la barre rouge indique les émissions de CO2 rendues possibles par les infrastructures fossiles existantes et prévues à partir de 2020.
Cela réduirait le budget carbone restant à partir du début de 2023 à environ 260 GtCO2.
Les implications de ce budget carbone pour les choix politiques
Certes, le «nombre d'années restantes» d'un budget carbone peut facilement faire la une des journaux, mais le fait de se fier à un seul chiffre pour déterminer l'avenir de l'humanité est problématique.
Le budget carbone est un concept précieux pour concentrer dans la durée les efforts mondiaux sur la nécessité urgente de réduire les émissions. Il définit aussi clairement l'exigence la plus fondamentale de la politique climatique pour mettre fin au réchauffement de la planète: à savoir ramener les émissions mondiales de CO2 à un niveau net zéro.
Toutefois, le fait de s'appuyer sur un seul chiffre peut également laisser place à des discours retardant l’action climatiques.
Il est facile de se méprendre sur le nombre d'années restantes avant que le monde ne doive agir. Alors que le délai est si court que certains essaient de suggérer que le budget carbone restant est si faible qu'il est inutile d'essayer.
La diminution du budget carbone implique aussi qu'il existe des incertitudes assez importantes autour d'un chiffre très petit.
Par exemple, des variations mineures dans la façon dont le climat réagira à l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère peuvent avoir un impact relativement important sur un budget qui est déjà minuscule comparé au CO2 émis par l'utilisation de combustibles fossiles et la déforestation depuis la révolution industrielle (environ 2,5 milliards de tonnes).
En outre, comme l'illustre la figure ci-dessous, l'estimation du budget carbone implique un certain nombre de choix en sciences du climat, tels que l’effet de chaque tonne de CO2 sur le réchauffement; ou encore la manière dont les rétroactions du système terrestre sont prises en compte.
De cette manière, les estimations du budget carbone tiennent déjà compte de l'effet de refroidissement qu’engendrerait une baisse de la pollution atmosphérique si on parvient à réduire l'utilisation des combustibles fossiles.
Elles supposent également déjà des réductions rigoureuses des autres gaz à effet de serre. C’est pourquoi des efforts comme le Global Methane Pledge — signé lors de la COP26, ndlt, ne permettent pas de relever les estimations du bilan carbone restant. Au contraire, le budget carbone restant serait plus faible si les pays ne parvenaient pas à respecter l'engagement relatif au méthane.
De petits changements dans les scénarios climatiques et les estimations ont donc un impact sur le calcul du budget carbone.
Par exemple, l'un des changements entre l'estimation du Global Carbon Project et la nôtre est que nous avons utilisé des scénarios climatiques — pour les gaz à effet de serre hors CO2 — tirés du dernier rapport du Giec publié en avril 2022. Ceux-ci prévoient un réchauffement légèrement plus élevé que les scénarios du premier groupe de travail du Giec en août 2021, ce qui diminue encore le budget restant.
Ce qui montre que le budget carbone est devenu un outil de moins en moins pratique pour définir les politiques climatiques.
Fondamentalement, peu importe que le budget de 1,5°C soit épuisé dans neuf ou six ans et demi. La nécessité d'une action climatique rapide est tout aussi urgente.
Le compte à rebours du carbone
Le budget carbone fournit une approximation simple de la vitesse à laquelle le monde doit se décarboniser.
Mais regarder défiler les aiguilles de l'horloge est de moins en moins informatif pour communiquer l'urgence de l’action climatique.
A noter:
Il n’est pas inoffensif de continuer à émettre du CO2 jusqu'à ce que le budget soit épuisé,
Ce n’est pas une catastrophe instantanée dès lors où il est dépassé.
Au lieu de cela, le budget carbone fait partie du débat politique. Celui-ci doit s’assurer que le changement climatique et les mesures prises pour l'endiguer, ne nuiront pas aux plus vulnérables.
En réduisant les émissions de manière radicale et rapide dès maintenant, le budget restant perdurera plus longtemps, tout en accordant du temps et de l'espace pour réduire les émissions de manière équitable pour tous.
Il est également important de développer des techniques d'élimination du carbone à grande échelle. Il est nécessaire de rembourser la «dette» de carbone si — ou quand — le monde épuisera le budget avant d'atteindre le net zéro.
Une assurance contre le risque de surestimation. L'élimination du carbone fournira aussi une assurance contre le risque de surestimation du budget carbone restant. À l'avenir, le climat et les activités humaines pourraient avoir de nombreuses répercussions sur le carbone immobilisé sur le long terme, à travers la déforestation, le dégel du pergélisol (sol gelé en permanence, ndlr.), la disparition des tourbières, les rétroactions du cycle du carbone, etc.De quoi réduire le budget carbone restant, déjà dérisoire, à une peau de chagrin.
Prof Piers Forster, professeur de physique du climat à l’Université de Leeds et directeur du Centre international Priestley pour le climat.
Dr Debbie Rosen, responsable scientifique et politique du projet CONSTRAIN à l’université de Leeds.
Dr Robin Lamboll, chercheur associé en science et politique du climat à l’Institut Grantham de l’Imperial College de Londres.
Prof Joeri Rogelj, directeur de recherche au Grantham Institute et professeur en science et politique du climat au Centre for Environmental Policy de l’Imperial College de Londres.