Ce ne sont pas les activités du groupe en Indonésie qui sont visées, mais bien les émissions globales de gaz à effet de serre issues de la production de ciment, dont Holcim reste le plus gros acteur au monde, coude à coude avec deux groupes chinois. La fabrication du ciment – pour lequel la demande mondiale ne faiblit pas - génère environ 8% des émissions anthropiques de CO2.
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Selon l’étude du Climate Accountability Institute (CAI) produite par les plaignants, Holcim – combinée à sa fusion avec Lafarge en 2015 – a produit plus de 7 milliards de tonnes de ciment entre 1950 et 2021 et généré presque autant d’émissions de CO2. Pour comparaison, les émissions historiques de la Suisse entre 1751 et 2020 sont estimées à 3 milliards de tonnes. Holcim figure ainsi parmi les «carbon majors», les plus grands producteurs privés d’émissions de gaz à effet de serre, dont la contribution à la transition climatique est évidemment essentielle.
Dans un long rapport de 2022 rendu à l’issue d’une enquête de plusieurs années contre 47 «carbon majors», la commission des droits humains des Philippines a énoncé une série de recommandations à l’intention de tous les acteurs publics et privés, dont la pleine coopération est désormais aussi urgente que primordiale. Un régime de responsabilité des entreprises dans le contexte du changement climatique est déclaré prioritaire, tout comme une complète transparence de la part des «carbon majors» sur les émissions générées par l’ensemble de leurs activités à travers le monde.
S’assurer qu’Holcim réduise ses émissions de manière compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris constitue justement l’objectif principal des habitants de l’île de Pari. Ils demandent aussi qu’Holcim contribue financièrement à l’indemnisation des dommages subis en raison d’inondations toujours plus fréquentes sur l’île et aux mesures d’adaptation nécessaires pour tenter de lutter contre la montée des eaux. Mais leurs conclusions à cet égard (CHF 20'000 au total), proportionnelles à la responsabilité historique d’Holcim par rapport aux émissions mondiales globales, semblent aussi symboliques pour les habitants de l’île que dérisoires pour un groupe comme Holcim.
On peut en déduire que l’échec de la tentative de conciliation menée entre les parties en automne 2022 résulte de cette exigence des habitants de l’île de Pari: un engagement d’Holcim de réduire ses émissions de CO2 de 43 % d’ici 2030 et de 69 % d’ici 2040 (par rapport au niveau de 2019), afin de conserver 50% de chances d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Mais comment expliquer cet échec alors qu’Holcim affirme viser la «neutralité carbone» d’ici 2050 tout en soulignant que sa stratégie est validée par la Science Based Target Initiative (SBTi) dont le WWF est l’un des fondateurs?
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Dans son rapport, l’EPER offre plusieurs pistes de réflexion. Outre de potentiels conflits d’intérêts et l’absence de contrôle indépendant, elle relève notamment au sein de la SBTi la conclusion d’accords de confidentialité empêchant la publication des émissions effectivement générées par les entreprises jusqu’en 2050. Sur le fond, l’EPER retient que l'utilisation de méthodes de calcul déficientes et une grande dépendance à des technologies de capture de CO2 expérimentales ne peut que conduire Holcim à un dépassement du budget carbone restant pour la trajectoire de 1,5°C. Le représentant de l’EPER rappelle toutefois aussi que c’est tout le secteur de la construction qui doit désormais – et rapidement – faire sa mue.