Le changement est possible. Lisa Schipper, experte du GIEC et professeure à l’Université de Bonn, se dit néanmoins confiante:
«Le rapport de synthèse comprend les trois messages clés à retenir, c’est-à-dire:
qu’il est urgent d’agir rapidement,
que réduire les combustibles fossiles est le premier levier pour atténuer le réchauffement planétaire,
et qu’une transition inclusive qui met l’accent sur l’équité et la justice est indispensable.
C’est une note d’espoir, qui montre qu’il est encore possible de construire un avenir durable et viable pour tous.»
Elle précise néanmoins que des connaissances scientifiques plus actuelles ont pu échapper au rapport de synthèse, qui compile les études parues avant le mois d’octobre 2021: «Rien de ce qui a été publié l’année dernière, ou en 2023, n’est donc inclus dans ce résumé», prévient-elle.
Accélérer les mesures d'adaptation au changement climatique au cours de cette décennie.
Limiter le réchauffement à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels en «réduisant fortement, rapidement et durablement les émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs».
Ces émissions devraient diminuer dès aujourd'hui et être réduites de près de moitié d'ici à 2030 si l'on veut limiter le réchauffement à 1,5 °C.
Des solutions peu coûteuses, à portée de main. Dans son communiqué, le groupe d’experts du climat fait preuve d’optimisme: «des options réalisables, efficaces et peu coûteuses en matière d'atténuation et d'adaptation sont déjà disponibles.» En tête des pistes, ils mettent en avant:
le déploiement de technologies à faible ou zéro émission de gaz à effet de serre, comme les énergies renouvelables
la réduction de la demande à travers la mise en place d’infrastructures et des changements de comportements individuels mais aussi socio-culturels – qui pourrait réduire 40 à 70% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, tout en améliorant le bien-être et la qualité de vie.
l’amélioration de l’efficience énergétique
la protection sociale et la justice climatique
la protection et la restauration des écosystèmes
Pour que ces objectifs soient réalisés, le financement de l’adaptation et de l’atténuation devront considérablement augmenter, soulignent-ils.
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Et pour s’attaquer à la racine du problème, le rapport appelle à une «réduction drastique de l’usage des énergies fossiles» – sans pour autant évoquer une sortie complète – et mentionne l’usage de technologies de capture et de stockage du carbone – une technologie vivement critiquée.
Autre point ouvert: les émissions de carbone résiduelles incompressibles, jugées inévitables par le GIEC. Le texte ne précise pas le périmètre concerné, qui sera certainement au cœur de nombreux débats ces prochains mois, juge Kari de Pryck.
La justice climatique, un noyau dur. La transition climatique ne pourra néanmoins se faire que si elle est équitable, insistent les experts. La synthèse met ainsi un accent tout particulier sur le concept des pertes et dommages.
Les pays pauvres, déjà fortement impactés par le dérèglement climatique auquel ils ont le moins contribué, demandent des réparations aux pays riches. Ce dossier brûlant avait déjà enflammé les négociations lors la dernière conférence sur le climat à Charm el-Cheikh.
Le concept d’équité internationale – qui fait référence à la responsabilité historique des pays fortement émetteurs – a été ajouté au résumé pour décideurs sur le fil, à l’insistance des pays en voie de développement.
Dans le résumé pour décideurs, Kari De Pryck regrette la persistance d’un certain flou autour de la définition des «pays vulnérables»:
«Initialement, le résumé nommait les petits Etats insulaires, de l’Afrique et les pays les moins développés. Mais ce fonds pour les pertes et dommages suscite la convoitise de nombreux Etats, comme le Brésil, qui a souhaité être inclus.
Ils ont donc trouvé un compromis, en rajoutant plusieurs régions, dont l’Amérique latine, ce qui est beaucoup plus large et flou. Cela noie ainsi les petits pays insulaires et les moins développés dans la liste, et fragilise leur accès à cette aide.»
Aditi Mukherji, experte du GIEC et une des 96 auteurs du rapport de synthèse:
«Près de la moitié de la population mondiale vit dans des régions très vulnérables au changement climatique. Au cours de la dernière décennie, les décès dus aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes ont été 15 fois plus nombreux dans les régions très vulnérables.»
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Vers un cercle vertueux. Le rapport appelle la société à s’orienter vers un «développement climatique résilient» – soit de s’adapter au changement climatique tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, ce qui aurait des effets bénéfiques pour la société et l’environnement, d’après le GIEC. Par exemple, une énergie propre et une mobilité électrique ou douce améliorent la qualité de l’air, et donc la santé de la population, tout en créant des nouveaux emplois, soulignent les experts:
«Les avantages économiques pour la santé des personnes découlant des seules améliorations de la qualité de l'air seraient à peu près équivalents, voire supérieurs, aux coûts de réduction ou d'évitement des émissions.»
🇨🇭La Suisse, agira-t-elle? La feuille de route et les leviers d’action sont à présent entre les mains des décideurs. De fait, comme le soulignent les experts, une atténuation efficace du réchauffement planétaire ne sera possible sans politiques climatiques claires et efficaces. La place financière a également un rôle à jouer.
Comment la Suisse compte-t-elle s’aligner aux conclusions du GIEC? Contacté par Heidi.news, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) rappelle les engagements climatiques de la Suisse, qui a réduit de 19% des émissions de CO2 entre 1990 et 2020. Avant d’ajouter:
«Les mesures existantes doivent toutefois être renforcées. La dernière décision du Conseil fédéral et du Parlement comprend l'objectif d'atteindre la neutralité climatique en Suisse d'ici 2050.»
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L’OFEV fait référence à la loi fédérale sur la protection du climat et la sécurité énergétique, sur laquelle la population est appelée à voter en juin:
«Le projet comprend également des objectifs d’adaptation aux effets des changements climatiques et d’orientation des flux financiers de manière à les rendre compatibles avec un développement à faible émission et capables de résister aux changements climatiques.
En se fixant pour objectif de réduire de moitié ses émissions d'ici 2030 et d'atteindre la neutralité climatique à partir de 2050, la Suisse respecte à la fois les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris et les recommandations du GIEC.»
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Kari de Pryck rappelle que la population suisse aura aussi un rôle crucial à jouer:
«La Suisse devra se saisir de ce rapport, mais elle devra d’abord avoir un débat avec la population qui avait rejeté le précédente feuille de route avec la loi sur le CO2. Le temps presse, car cette transformation doit avoir lieu maintenant, pas demain, nous n’avons plus le choix. Il va falloir s’emparer de cette question et changer radicalement nos modes de consommation et de production.»
Le rapport de synthèse à l’intention des décideurs sera bientôt accessible in extenso à cette adresse.