Extinction Rebellion, ou notre mauvaise conscience climatique

Sarah Sermondadaz

La trêve estivale est finie, les mouvements pro-climat reprennent du service. Dès le lundi 4 octobre, la branche suisse d’Extinction Rebellion (XR) s’apprête ainsi à bloquer cette semaine plusieurs rues au centre de Zurich. Les militants sont invités à se rendre dans plusieurs artères de la ville, notamment la Bahnhofstrasse, munis d’une chaise, et à s’y asseoir tous les jours à midi «en attendant qu’il se passe quelque chose». Pour le mouvement, c’est une façon d’interpeller le Conseil fédéral sur sa politique climatique, jugée insuffisamment ambitieuse.

Il faut dire que XR et le Conseil fédéral ont des vues résolument divergentes sur ce qu’est un horizon réaliste pour atteindre le «net zéro». Soit la date limite où nous devons neutraliser entièrement nos émissions de gaz à effet de serre, d’une part en les réduisant à la source, et d’autre part, approches plus contestées, en les compensant, voire en piégeant une partie du CO2 produit. Pour la Suisse, le net zéro doit être visé pour 2050. Bien trop tard, pour les militants XR, qui demandent à ce que la neutralité climatique soit atteinte pour… 2025. Soit demain!

Une forme d’honnêteté radicale

Irréaliste, donc. Mais XR ont-ils complètement tort sur le fond? Est-ce suffisant, même dans le pays du consensus et du pragmatisme, pour balayer les revendications de XR d’un travers de la main? «Soyez réaliste, demandez l’impossible», scandait un slogan de mai 68, un autre mouvement parti de la jeunesse étudiante, qui a touché jusqu’à la Suisse. La posture d’XR est intéressante, en cela qu’elle prône une forme d’«honnêteté radicale»: la désobéissance civile certes, mais non violente, l’action à visage découvert, la mise au courant des forces de police des actions prévues, la vérité sur la crise climatique, et même être prêt à se faire arrêter. Jeudi dernier, l’un des militants XR a même été condamné par la justice vaudoise, mais il en reste encore 200 à juger. Au cœur des valeurs du groupe, on retrouve ainsi la notion de sacrifice. «On la retrouve dans de nombreux mouvements pacifiques, notamment pour les droits civiques aux Etats-Unis, expliquaient les porte-paroles romands du mouvement à l’occasion d’une conférence de presse. C’est un signe d'honnêteté.»

Ou de naïveté? Nous, adultes plus ou moins installés dans nos vies, avons souvent fini par faire quelques compromis avec les grandes idées de nos 16 ou 20 ans. Et, comme nos prédécesseurs, sommes bien prompts à qualifier de candides les grandes idées de ces jeunes qui nous ont succédé. Mais ce que nous avons retourné en défaut n’est-il pas, au contraire, l’une des grandes qualités de l’enfance et de la jeunesse? Celui de ne pas savoir mentir — et de ne pas tolérer, en retour, le mensonge ou même les petits arrangements politiques avec la réalité. «Nous forçons les gens à prendre position», expliquaient des militants d’XR. Ce faisant, ils nous confrontent à l’enfant que nous avons été. Ou nous forcent à répondre à nos propres enfants — ceux-là qui vivront plus fortement la crise climatique, ainsi que l’a montré une récente étude scientifique. Et la transgression des règles injustes ne semble-t-elle pas, elle aussi, héritée de l’enfance?

La mauvaise conscience qu’on ne peut faire taire

Certes, les blocages d’XR nous compliquent la vie. Ils nous mettent en retard, perturbent les activités économiques. La désobéissance civile met en danger l’appareil législatif, mais il le pousse aussi à évoluer, y compris sur la jurisprudence. L’insolence comme attitude, la sincérité radicale en bandoulière. En fin de compte, ce n’est pas tant à l’exécutif qu’ils s’adressent, mais à leurs concitoyens. Eux, nous. Tous victimes impuissantes de la crise climatique, et en même temps complices malgré nous. Tous coupables en puissance si nous aussi, prenions la décision de désobéir. Ils incarnent cette forme de mauvaise conscience que l’on n’arrive pas à faire taire, et nous rappellent que même «l’inaction climatique est un crime, il est dans notre droit et devoir de nous rebeller.» J’ai une confession à faire: je pense qu’au fond, ce sont eux qui ont raison.