Nos comportements individuels sont désormais scrutés au regard de l’intérêt général
Le lundi suivant, 5 septembre, la star française du foot Kylian Mbappé est parti en fou-rire lorsqu’un journaliste a posé la question, à lui et à son entraîneur du Paris Saint-Germain, s’il n’était pas plus raisonnable de prendre le train pour aller à Nantes plutôt qu’un avion affrété spécialement. La blague de l’entraîneur Christophe Galtier a déchaîné les critiques: «on va voir si on peut pas se déplacer en char à voile».
Quels liens entre la chasse aux jets privés et les ristournes françaises sur l’essence? Que retenir de tout cela? Que nos comportements individuels sont désormais scrutés au regard de l’intérêt général et de l’urgence climatique. Que le comportement des nantis agace les plus modestes (les ultra-riches détruisent la planète), affirme l’ONG Attac en comptant pour un autre footballeur, Lionel Messi, 52 vols en jet privé en trois mois, et 1500 tonnes de CO2 émis). Il faut donc retenir aussi qu’à la crise climatique pourrait s’ajouter une crise sociale, sur fond de bras de fer entre l’Europe et la Russie: qui tiendra le plus longtemps, entre les populations frigorifiées d’un côté et les populations sous sanctions de l’autre? Et enfin, émettons l’hypothèse que c’est peut-être une mauvaise idée, pour les automobilistes genevois, d’aller faire le plein en France.
Pourquoi? Quand la polémique a éclaté, en août, le conseiller d’Etat Mauro Poggia a sauté sur l’aubaine pré-électorale pour défendre le droit des Genevois de profiter, eux-aussi, des opportunités transfrontalières. Dans son blog sur le site de la Tribune de Genève, il accuse un sénateur haut-savoyard de «manipuler l’opinion pour tenter de surfer sur un sentiment d’envie et de jalousie à l’égard du Suisse présumé nanti».
Est-il raisonnable de griller plus d’essence pour aller faire un plein moins cher?
Et pourtant, les Suisses sont nantis. Leur salaire médian de 6210 francs (chiffres de 2018) est plus du double que de l’autre côté de la frontière. Sauf que ce n’est pas d’argent dont il est question ici, malgré les 50 ou 60 centimes de différence par litre de sans plomb des deux côtés de la frontière. Les Suisses ont aussi une flotte de voitures qui émettent en moyenne 25% de plus que celles des Français, en raison d’une motorisation plus puissante et de leur amour des SUV.
Il s’agit de climat et d’exemplarité. Est-il raisonnable de griller plus d’essence pour aller faire un plein moins cher? Ne faut-il pas considérer que si les stars doivent désormais assumer un rôle de modèle avec un train de vie plus sobre, les automobilistes suisses peuvent eux aussi montrer l’exemple en payant l’essence au prix fort au plus près de chez eux?
Aujourd’hui, la moralisation est partout. Même les auteurs du GIEC en sont victimes: François Gemenne avait déclenché une tempête en prenant un vol Nice-Paris et s’en était expliqué dans une tribune pour Heidi.news. Rappelons qu’il y a aussi des foyers suisses qui souffrent de l’inflation. Mais cela n’empêche pas de réfléchir aux efforts individuels que l’on est prêt à consentir pour accélérer la transition vers une société décarbonée. J’avoue avoir ressenti la satisfaction de faire une bonne affaire lorsqu’il m’est arrivé de faire le plein en France, mais je vais désormais m’en abstenir. Ma satisfaction sera de ne pas participer à une ruée sur l’essence bon marché. Et cela ne serait pas une mauvaise idée de ne plus prendre que mon vélo.