Réponse du berger à la bergère de la part de la professeure: «S’il avait daigné se déplacer, il aurait entendu que chaque intervenant a justement insisté que ce n’était pas notre rôle de décider, mais de soutenir la prise de décision politique.(...) il accuse les scientifiques de tenir des propos politiques cachés derrière leur message climatique. C’est une posture complotiste.»
Balle au centre, chacun dans son droit
«Anticapitalisme» contre «complotisme»: balle au centre? Sur le fond, les deux sont dans une posture légitime: l’experte du Giec, légitime dans son rôle de conseil, défend aussi son droit à avoir des convictions politiques en tant que citoyenne. La Verte Adèle Thorens appelait d’ailleurs à faire la distinction entre les opinions individuelles et les résultats scientifiques présentés. Mais de l’autre côté, l’élu PLR est lui-même membre de la commission de la science, de l'éducation et de la culture au (Cnec). En défendant le droit du corps politique à arbitrer, en tant que représentants du peuple, à l’aide des éléments présentés par les scientifiques, il est dans son rôle.
Mais le problème des clashs, c’est qu’ils simplifient les positions – pour ou contre – et éludent le fond du sujet: comment sont prises les décisions de politique environnementale et climatique, sur la base de quelles informations scientifiques? De fait, la question du climat est transversale – et à ce titre, devrait transcender les formations politiques. Elle concerne de nombreuses commissions parlementaires, pas seulement celles de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie. Ce que reconnaissait d’ailleurs lundi dernier Matthias Michel, conseiller aux Etats, lui aussi PLR: il rappelait qu’aujourd’hui, ces thématiques sont souvent traitées dans des catégories isolées, et qui appelait à sortir des silos.
La marque de la pandémie
C’est que l’expérience de la pandémie reste encore vive dans la mémoire des politiciens. «Si nous avions appliqué à la lettre ce qui était demandé par les scientifiques, nous serions encore confinés aujourd’hui!», lançait Philippe Nantermod dans le Blick. Malgré le soupçon de mauvaise foi qui pimente l’argument, celui-ci nous replonge au coeur de la crise sanitaire, en 2021 quand il avait été cordialement demandé aux scientifiques de la task force de réserver la communication des mesures contre la pandémie aux seuls Conseil fédéral et au Parlement. Quelques semaines plus tôt, c’est Marcel Salathé, professeur à l’EPFL, qui claquait la porte de la task force. Sans pour autant changer son fusil d’épaule, puisque ce fut pour fonder CH++, organisation visant justement à renforcer les compétences technologiques et scientifiques du monde politique.
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En fait, ce qui différencie les scientifiques du climat et les politiciens, c’est que les premiers ont désormais l’habitude de composer avec le politique. A commencer lors des sessions plénières du Giec, où les résumés pour décideurs sont soigneusement scrutés par les représentants des 195 Etats membres… qui peuvent décider d’éliminer toute phrase qu’ils jugeraient problématique. En 2014, une figure avait ainsi fait polémique – elle représentait les émissions de gaz à effet de serre en fonction du revenu moyen des pays –, et avait ainsi été expurgée du résumé. Résultat: au fil des années et des rapports, les experts scientifiques se sont aussi mués en fins négociateurs.
Du côté du politique, on ne peut pas toujours en dire autant. Il faut dire qu’en matière de climat, de nouveaux modes de militantisme – désobéissance civile d’Extinction Rebellion, blocages routiers de Renovate Switzerland, grève de la faim de Guillermo Fernandez, point de départ de la rencontre de lundi dernier – sont venus déranger, et proposer d’autres modes d’action politique que le scrutin. Mais que le monde politique se rassure: les scientifiques n’ont aucune envie de devenir calife à la place du calife. Lundi dernier, il était question de science, et uniquement de science.