Credit Suisse: «Imposons des exigences climatiques aux banques qu’on sauve»

Morgane Nusbaumer

Credit Suisse et UBS figurent parmi les banques qui investissent le plus dans les énergies fossiles. Morgane Nusbaumer est associée à l’Institut tropical et de santé publique suisse et membre du Collectif BreakFree, qui exhorte la place financière à renoncer à ses investissements fossiles. Pour elle, avant de sauver une banque en risquant l’argent du contribuable, il faudrait s'assurer que ses activités n'aggraveront pas le réchauffement de la planète.

La Suisse pleure la chute de Credit Suisse. Mais n’oublions pas: avant son naufrage, Credit Suisse s’est rempli les poches… notamment en investissant massivement dans les combustibles fossiles, qui sont en grande partie responsables du réchauffement planétaire. Son appétit sans bornes pour ces énergies polluantes s’étend même à celles qui sont encore enfouies.

Pourtant, aujourd’hui, c’est en engageant l’argent du contribuable qu’on «sauve» une banque dont les activités font couler la planète.

Des banques dopées aux énergies fossiles

Prenons quelques exemples. Parmi les investissements de Credit Suisse, on trouve entre autres:

  • TotalEnergies, qui s’apprête à construire un oléoduc chauffé de près de 1500 kilomètres, qui traversera des parcs nationaux en Ouganda et en Tanzanie. Ce projet prométhéen, baptisé Eacop, devrait transporter plus de 10 millions de tonnes de pétrole par an, et menace de déplacer plus de 100’000 personnes.

  • Mais aussi le géant du charbon Glencore, qui a touché près d'un milliard de dollars des banques suisses entre 2016 et septembre 2022 en prêts et underwritings (l’émission d’obligations permettant de lever des fonds auprès d’investisseurs tiers, ndlr.).

Lire aussi: La chute de Credit Suisse, une aubaine pour le climat?

Pas une pour sauver l’autre

Le rachat règlera-t-il l’affaire? Hélas, non. Quand on parle de climat, il n’y a pas une banque pour sauver l’autre. Sans surprise, les deux banques suisses qui financent le plus massivement le charbon sont Credit Suisse, suivie par UBS.

La BNS, grande sauveuse du jour, ne vaut en réalité guère mieux. En raison d'un grave manque de transparence, ses investissements dans de nombreuses entreprises européennes ne sont pas connus.

Des estimations basées sur les investissements passifs de la banque centrale (une gestion déléguée confiée à une personne tierce, ndlr.), selon des indices de marché globaux, recensent:

  • plus de 500 millions de dollars d’investissements dans TotalEnergies,

  • et plus de 230 millions de dollars investis dans Glencore.

Cela malgré le mandat de la banque centrale, qui stipule que «la BNS n'acquiert pas d'actions ou d'obligations d'entreprises (...) qui violent massivement les droits humains fondamentaux ou qui causent systématiquement de graves dommages à l’environnement.»

UBS, vers un monopole climaticide?

Et voilà que la BNS soutient UBS pour avaler son concurrent, amenant la nouvelle entité à 5000 milliards de dollars d’actifs sous gestion, soit six fois le PIB du pays, et lui offrant un quasi-monopole sur la place financière.

Pour le climat, et notre avenir à tous et toutes, cette fusion est une catastrophe. Les politiques d’exclusion des deux géants se ressemblent presque trait pour trait, et UBS, tout comme Credit Suisse, est dopée aux énergies fossiles.

Ainsi, alors même qu’elle est membre fondateur de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFanz) depuis avril 2021, UBS a investi:

L’argent du contribuable pour saboter la planète?

Le «sauvetage» de Credit Suisse, en risquant l’argent du contribuable, est un scandale.

Comment peut-on envisager d’injecter de l’argent public dans des banques soutenant l’expansion des énergies fossiles, alors même que la dernière synthèse des experts du GIEC a, encore une fois, tiré la sonnette d’alarme en début de semaine?

Ce «guide de survie pour l’humanité», selon Antonio Guterres, rappelle que:

  • Les finances actuelles pour le climat sont «très insuffisantes» et «largement dépassées» par le financement des énergies fossiles – qui sont pourtant moins rentables que le renouvelable.

  • Sans fermeture anticipée d’une partie des exploitations de charbon, gaz et pétrole, nous dépasserons un réchauffement de 1,5°C d’ici à la fin de la décennie.

L’urgence d’une banque vs l’urgence de la planète

Si nous ne réduisons pas drastiquement et dès aujourd’hui nos émissions, conserver un monde vivable pour tous et toutes deviendra quasiment impossible. L’urgence est donc de taille.

La rapidité avec laquelle la Confédération et la BNS ont réagi nous prouve encore une fois que dans l’urgence, tout est possible. Alors comment peut-on encore continuer à investir dans des énergies fossiles et des entreprises expansionnistes? Le GIEC l’a dit: il est urgent de réorienter les flux financiers pour respecter les limites planétaires.

Comment donc expliquer qu’une banque, guidée par ses intérêts privés, ait le droit de définir ce qui est urgent, et d’utiliser l’argent public pour détruire l’avenir de la population et celui des générations à venir?

Vers une régulation de la place financière

Face à ces incohérences, la BNS devrait donc impérativement sortir de ces investissements nuisibles, et enfin jouer son rôle de régulateur avec la Finma pour mettre au pas la place financière suisse conformément à l’accord de Paris et à la Convention sur la diversité biologique. Jusqu’à présent, le marché est basé sur l’autorégulation. On voit que cette stratégie ne fonctionne pas.

Il est grand temps de reprendre le contrôle et exiger une véritable régulation du monde de la finance. Pour cela, exigeons que ce nouveau titan – UBS – soit placé sous le contrôle des pouvoirs publics, des salariés et des usagers, et que ce sauvetage soit conditionné au respect de directives environnementales et sociales. Les privilèges fiscaux et les copieux bonus aux managers n’ont pas lieu d’être. Nous devons agir avant que ne coule notre navire, la planète. Si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé depuis longtemps.