La compensation carbone décrédibilise les ambitions suisses à l'international

Jean-Valentin de Saussure

Jean-Valentin de Saussure est co-président de Swiss Youth for Climate. Dans cette tribune, il revient sur l'image que renvoie la Suisse à l'international à travers sa politique de compensation carbone à l'étranger.

En pleine urgence climatique, la COP27 bat son plein pour tenter d’apporter des nouvelles mesures concrètes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La Confédération suisse, elle, s’affaire à conclure de nouveaux accords bilatéraux de compensation carbone à l’étranger, avec le Maroc comme dernier partenaire en date, qui vient s’ajouter au Pérou, Ghana, Sénégal, Vanuatu ou encore à la Dominique.

Une position de «leader» mondial dans le domaine des échanges de crédits carbone sous l’accord de Paris, qui lui a valu d’être citée lundi 7 novembre dans le New York Times comme État «payant des nations pauvres pour réduire les émissions pour son compte». La politique climatique suisse vend du rêve à l’international…

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En 2020, la Suisse a été le premier pays au monde à signer un accord d’échange de crédits carbone, avec le Pérou. Depuis, elle est également devenue le pays au monde à conclure le plus de ces accords pour compenser ses émissions. Une position qui donne à réfléchir, car elle n’est pas pour autant devenue exemplaire au niveau international en matière de politique climatique

Un mécanisme qui doit rehausser l’ambition climatique et non la réduire

Dans l’accord de Paris, l’article 6 portant sur les marchés carbone et les crédits associés permet aux États de coopérer sur une base volontaire pour mettre en œuvre leurs objectifs climatiques nationaux. C’est sur la base de cet article (précisément l’article 6.2) que la Suisse a conclu les accords bilatéraux de compensation avec d’autres pays.

La Suisse avait déjà utilisé de manière conséquente les crédits carbone sous le Protocole de Kyoto, à la différence majeure que dans ce dernier, il s’agissait de «mécanismes de flexibilité», alors qu’il s’agit de «mécanismes d’ambition» dans l’accord de Paris.

Dans le cadre de l’accord de Paris, ces démarches sont facultatives et surtout, elles doivent théoriquement permettre de «relever le niveau d’ambition» des mesures étatiques, c’est-à-dire contribuer à réduire davantage de gaz à effet de serre.

Or, il existe une différence notable entre le prix de la tonne de CO2 à l’étranger et celui en Suisse… Pour bien faire, cette économie devrait soit être réinvestie dans davantage de mesures nationales, soit afin d’augmenter les objectifs fixés. Mais est-ce vraiment le cas ici?

La Suisse, mauvais exemple

La compensation ne doit pas permettre de fuir ses responsabilités, comme le fait la Suisse actuellement. En effet, la Suisse a déjà manqué son objectif de réduction de 20% des émissions en 2020 et sa politique climatique actuelle nous mène vers un réchauffement de 3°C, soit le double des objectifs internationaux signés.

Elle figure parmi les États les plus riches et développés du monde, et en tant que pays européen, porte également une responsabilité historique du réchauffement climatique. Cette stratégie de compensation crée ainsi un précédent dangereux en finançant des projets de réduction des émissions à l’étranger, au lieu de décarboner rapidement et de manière ambitieuse tous les secteurs au niveau national.

Quel bon usage de la compensation?

La compensation peut être une composante de notre politique climatique, mais elle doit tenir compte de la notion centrale d’ambition et ne pas se substituer à des réductions nationales. L’Union européenne, par exemple, explicitait fin 2021 que ses objectifs de réduction étaient exclusivement domestiques, sans faire usage de la compensation. Ce qui est le cas de plusieurs pays européens. La Suède aurait songé ce printemps à intégrer les émissions indirectes liées à la consommation dans ses objectifs, ce qui serait une première mondiale.

Ne considérer la compensation pour cette part des émissions, non prise en compte aujourd’hui dans les calculs, serait pertinent. Du point de vue helvétique, cela pose également une question éthique importante: est-ce justifiable de financer des projets à l’étranger pour continuer à émettre des émissions en Suisse, sous prétexte que la réduction des gaz à effet de serre dans certains secteurs économiques est trop difficile à atteindre?

Un problème de définition scientifique

Enfin, le GIEC définit la neutralité carbone comme un équilibre émissions-puits, entre les émissions anthropiques (d’origine humaine) et les puits de carbone biologiques ou technologiques (capture). Soustraire les crédits carbone achetés aux émissions pour atteindre le zéro est contraire à cette définition. La France par exemple, vise la neutralité carbone exclusivement sur son sol, en doublant notamment les puits de carbone (forêts, sols…).

Financer des projets de fours efficients, d’énergies renouvelables, des programmes de rénovation énergétique ou de biogaz, ou encore le déploiement de véhicules électriques dans des pays en développement est nécessaire. Mais cela devrait davantage compter comme de la finance climatique, plutôt que comme réduction des émissions à l’étranger pour le compte de la Suisse. Cette position décrédibilise notre pays, alors qu’il pourrait jouer un rôle pionnier au niveau mondial dans la transition écologique.