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Avons-nous déjà perdu la bataille? Tout se passe comme si, piétinant sur la ligne de départ d’un marathon, nos équipes n’avaient jamais vraiment commencé à courir. Et que nous préférions deviser sur la paire de basket la plus efficace pour franchir le 41ème kilomètre, acheter des kilomètres aux équipes qui partaient de plus loin que nous – toute ressemblance avec les règles de compensation carbone serait bien sûr fortuite – tout en ayant fait l’impasse sur la préparation physique…
Et c’est tout le problème. S’il est nécessaire de se fixer des défis qui sont atteignables, le plus important, c’est de se préparer. Or, nous passons plus de temps à épiloguer sur la longueur de la course qu’à nous entraîner. Certes, la température du globe s’est déjà réchauffée d’au moins 1,1°C. Certes, le dernier rapport des Nations unies estime que le monde se dirige vers un réchauffement d’au moins 2,4 d'ici 2100. Pire, au rythme actuel, il suffira de moins de 10 ans pour que l’humanité émette, de façon définitive, trop de CO2 pour rester sous les 1,5°C, selon les estimations du Global Carbon Project.
Mais est-ce une raison pour rejeter cet objectif, qui semblait surtout symbolique en 2015, porté par les petits Etats insulaires menacés par la montée des eaux? Impossible. Un tel précédent risquerait de transformer les 2°C de l’accord, d’ici quelques dizaines d’années d’inaction supplémentaires, en 3°C…
Ce serait aussi éluder la promesse de solidarité - mise à rude épreuve à Charm El-Cheikh - entre pays développés et en développement, qui est au cœur de l’accord de Paris. Filons la métaphore: si l’on peut à sa guise repousser la ligne d’arrivée, l’existence même d’une compétition sportive a-t-elle encore un sens?
Plus qu’un marathon, une course de relais
D’autant que 1,5 ou 2°C de plus ne sont pas des chiffres froids et désincarnés. Chaque demi degré en plus compte et se traduit en davantage de catastrophes climatiques – et en milliers de morts supplémentaires. Pour la biodiversité, crise jumelle de celle du climat, une augmentation de 1,5 à 2°C implique de doubler le nombre d’espèces de vertébrés et de plantes – et tripler les espèces d’insectes – à risque d’extinction. Que l’on dépasse l’une ou l’autre de ces limites, la planète ne va pas soudainement exploser. Mais débattre de la possibilité de limiter le réchauffement à 1,5 ou 2°C nous éloigne du fond de l’affaire: chaque dixième de degré compte.
Poursuivons l’analogie sportive:, le marathon climatique aurait dû être vu comme une course de relais. Mais les pays, d’un bout à l’autre du globe, étaient trop inquiets de perdre leur avance dans une autre discipline: la compétition économique, la seule à rapporter des médailles. Alors plutôt que de se demander si le marathon est possible ou s’il faut se rabattre sur un semi, il serait plus utile de changer dès maintenant nos modes de vie pour se préparer à courir vite, longtemps et dès maintenant. Car chaque kilomètre compte.
Et déjà, le chrono tourne. C’est l’an prochain, lors de la COP28 à Dubaï, que se tiendra le premier Bilan mondial de l’accord de Paris, où les émissions de gaz à effet de serre recensés par les Etats seront comparées à leurs engagements nationaux. Un premier tour de piste, en somme. Cette COP là pourra donner le coup de grâce aux 1,5°C… ou siffler enfin un vrai départ.