Climat: A-t-on encore besoin du GIEC et de ses rapports de 10'000 pages?
A l’heure où le groupe d’experts vient de finaliser son sixième cycle d’évaluation, les émissions de gaz à effet de serre restent à leur plus haut niveau. Si les Etats ne tiennent pas suffisamment compte de recommandations qu’ils ont eux-mêmes validées, à quoi sert encore le GIEC? Comment peut-il se réinventer?
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La ligne du Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) tient, de plus en plus, de l’exercice d’équilibrisme: informer efficacement les décideurs, tant sur le constat que sur les solutions envisageables, tout en présentant un contenu aussi dépolitisé que possible… Dans ces conditions, doit-il continuer à livrer de nouveaux rapports réguliers? Faut-il réformer son fonctionnement ou sa mission? Le GIEC a-t-il fait son temps?
Pourquoi la question se pose. Même avec les politiques climatiques actuellement en place, le réchauffement global des températures pourrait talonner les 3°C d’ici à la fin du siècle. Une prévision du même ordre de grandeur que celles dressées par des scientifiques américains à la demande de la Maison-Blanche en… 1979. Entre-temps, les rapports se sont succédé.
Avec la parution de la synthèse du 6e rapport du GIEC ce lundi, largement effacé par le reste de l’actualité, c’est un cycle qui s’achève. Le constat scientifique est clair et accepté comme tel: oui, les activités humaines réchauffent la planète. Reste à trouver les solutions socio-techniques capables d’infléchir la tendance.
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Une mission délicate pour le GIEC, cénacle plutôt conçu pour synthétiser les connaissances que trouver des leviers d’action. Kari De Pryck, chercheuse à l’Université de Genève et autrice de plusieurs ouvrages consacrés à la gouvernance du GIEC, reconnaît:
«On a peut-être trop attendu du GIEC, en pensant qu'il suffisait de présenter les connaissances scientifiques aux décideurs. On réalise aujourd’hui à quel point les enjeux de rapports de force et de priorités nationales compliquent la donne.»
Ouvrir la boîte noire. A bout de souffle, le modèle du GIEC? Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain sans rappeler l’originalité d’une institution au modèle unique, créée en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) à la demande du G7. Elle est dotée d’une mission précise: évaluer la réalité, les causes et les conséquences du changement climatique. Ses rapports successifs ont fourni des informations cruciales aux négociateurs du protocole de Kyoto (1997) puis de l’accord de Paris sur le climat (2015).
Dès le départ, le GIEC a été conçu comme une structure autonome et hybride, constituée à la fois de scientifiques et de représentants des Etats. Sa crédibilité repose sur son mode de gouvernance particulier, qui implique des centaines de scientifiques. Ils ne produisent aucune nouvelle recherche, mais doivent évaluer l’état de la littérature scientifique disponible.
Le GIEC est bien entendu traversé par des tensions, notamment lors des plénières où sont validés les résumés pour décideurs («summary for policymakers»), versions abrégées des rapports. Ils doivent être votés à l’unanimité par les représentants des 195 délégations nationales. Lesquels, parfois, se battent pour changer les formulations et défendre leurs intérêts…
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Les métamorphoses de l’expertise scientifique. «La création du Giec relève d’une demande d’expertise scientifique qui concernait au départ surtout les sciences naturelles, à une époque où la principale question était de montrer si le réchauffement observé était d’origine humaine ou non», rappelle Kari De Pryck.
Mais depuis le premier rapport de 1990, le monde a changé, les connaissances scientifiques aussi. C’est d’une boîte à outils dont le monde a besoin désormais, juge la spécialiste en gouvernance climatique.
«Depuis l’accord de Paris (qui a scellé l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 ou 2°C, ndlr.), on a surtout besoin de solutions. C’est pour cela que les enjeux d’adaptation et d’atténuation autour du changement climatique présentés dans le sixième rapport suscitent beaucoup de discussions.»
Indispensables sciences sociales. Et pour construire ces solutions, on ne peut se passer des sciences sociales: économie, sociologie, anthropologie, psychologie, ou même sciences politiques… autant de disciplines indispensables pour penser les remèdes à la crise climatique. Mais puisqu’elles traitent des relations entre l’humain et la société, ces dernières touchent nécessairement à l’interface politique, bien plus encore que la climatologie ou la glaciologie… C’est là que les choses se compliquent.