ChatGPT peut-il écrire sur le climat à ma place?

Image générée avec Dall-e par la journaliste (qui aime beaucoup s'amuser avec les IA génératives) | OpenAI/HDN

L'IA va-t-elle remplacer les journalistes? Nous avons organisé une opération pour voir si vous, lectrices et lecteurs, faisiez la différence. Retour sur les coulisses de l'opération et ses leçons, en ce qui concerne l'article sur le climat.

Il y a peu, Heidi.news a organisé une opération IA vs journaliste, en plusieurs rencontres. J’ai eu chaud: vous n’êtes que 10% à m’avoir confondue avec ChatGPT, sur la question de l’apport de la capture du carbone et de la géo-ingénierie solaire pour lutter contre le changement climatique. Bien vu!

Pour lire la version enrichie, c’est par ici:

Technologies et climat: Retrouvez la version longue de la réponse journalistique

Cette expérience me donne l’occasion de revenir sur les coulisses de l'opération, et de visiter quelques arrière-cuisines du journalisme au passage.

L’art de poser les (bonnes) questions

Rappelons la requête initiale adressée à ChatGPT:

Les technologies peuvent-elles nous aider à lutter contre le réchauffement climatique? Plus spécifiquement les technologies de capture de carbone et la géo-ingénierie solaire

Pourquoi cette question? Nous ne l’avons pas choisie à la légère. Il s’agissait de trouver une question factuelle sur le climat, qui renvoie à l’écomodernisme — ce courant de pensée un peu controversé selon lequel il serait possible de préserver l’environnement à l’aide de techniques de pointe.

Or, les deux solutions technologiques évoquées ont des degrés de maturité différents:

  • La question du captage-stockage du CO2 revient à chaque conférence de presse du Giec, qui répond désormais que ces technologies auront peut-être un rôle à jouer à l’horizon 2050 pour finir de décarboner nos économies, en complément avec d’autres approches basées sur la nature comme la reforestation.

  • La question de la géo-ingénierie solaire est bien plus prospective — les technologies ne sont clairement pas mûres pour l’instant. J’ai voulu l’intégrer, par curiosité, car j’avais assisté, quelques semaines plus tôt, à une conférence sur le sujet qui m’avait marquée. Cette dernière ouvrait la boîte de Pandore au nom de l’anticipation scientifique.

Quand l’IA pose les questions elle-même. Nous aurions pu demander à ChatGPT de choisir lui-même la question. Elle aurait, dans ce cas, été bien plus générique:

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Il faudrait donc jouer à la «maïeutique» socratique avec ChatGPT pour l’aider à accoucher des bonnes questions. Or, c’est précisément ce que nous autres journalistes faisons quand nous choisissions l’angle de nos sujets, en fonction de l’actualité. Il semble bien plus facile de compter sur l’intelligence collective d’un groupe de journalistes pendant une séance de rédaction…

Qu’est-ce qu’un texte journalistique?

Vous l’aurez compris, notre métier n’est pas seulement de présenter l’information sous forme écrite. Elle doit aussi être

  • attrayante, pour que vous ne décrochiez pas dès la deuxième ligne. Cela passe par le style du texte, mais aussi sa mise en forme, les intertitres, les illustrations…

  • digeste, pour que les principaux enjeux soient émergent clairement et soient compris.

  • si possible, imagée: il vaut mieux un exemple clair qu’une suite de mots compliqués, surtout lorsqu’il s’agit de climat et de rapports du Giec.

Parfois — même ce n’était pas l’enjeu ici — on crée de l’information pour laquelle il n’existe pas encore d’autre trace écrite (lorsque nous sommes les premiers sur un sujet, que nous avons un scoop, ou alors lorsque nous rapportons les citations d’un expert). Rappelons que ChatGPT ne se base que sur des données puisées sur le web en 2021.

Enfin, nous devons choisir de bonnes sources et les citer correctement. Contrairement au journaliste, ChatGPT ne peut pas dégainer son carnet d’adresse et appeler un spécialiste du sujet. Mais il pèche même dans la gestion des sources froides, ce que nous allons voir dans un instant.

Plusieurs lecteurs ont bien relevé le style encyclopédique de l’IA. Pour améliorer la lisibilité du texte, j’ai voulu demander à ChatGPT de réécrire son texte de façon plus journalistique. Il s’est rapidement exécuté:

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ChatGPT ne sait pas citer ses sources. Miracle: sollicité pour écrire dans un style journalistique, ChatGPT produit un texte plus clair, avec des sources explicites. Le problème, c’est que la première source… n’existe tout simplement pas.

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Même chose pour la seconde source proposée par l’algorithme, introuvable. Une recherche en ligne permet de comprendre qu’il s’agit d’une fausse étude dont le titre a été bricolé à partir d’articles scientifiques réels («Solar geoengineering to reduce climate change: a review of governance proposals», par exemple).

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Victoire de l’humain sur la machine. Comme l’expliquait Nicolas Sabouret, professeur en intelligence artificielle,

«ChatGPT est conçu pour maximiser la cohérence des termes qui se suivent les uns les autres dans les phrases. Pas pour minimiser le niveau d’erreur.»

Autrement dit, quand ChatGPT vous dit qui sont ces sources, son objectif n’est pas de vous dire vrai… mais de vous répondre quelque chose de vraisemblable. Autrement dit, les journalistes humains ont encore de beaux jours devant eux. Et voilà mon emploi sauvé — au moins encore pour quelques mois.