Tout avait bien commencé. Hôtels avec piscine, bars à tapas arrosés, lieux culturels climatisés… Jusqu’à ce qu’une vague de chaleur, la plus intense connue par l’Europe depuis 15 ans, ne déferle sur le pays. «C’est normal, il fait chaud l’été», avait d’abord pensé Daniel, en se félicitant d’avoir pris la clim’ sur l’auto de location. Mais quand l’air chaud avait affolé le mercure, jusqu’à titiller localement les 50°C, trop, c’était trop, la famille prit la décision de plier bagages et de rentrer plus tôt…
C'est là que commence le vrai périple, en trois actes:
Acte 1: Mayday, les avions ne décollent plus. Après un enregistrement des bagages sans encombres, une chance au vu de la pagaille qui faisait rage depuis le début de l’été faute de personnel dans les aéroports, le couple prend enfin place dans l’appareil. Le pilote allume les gaz, mais l’avion reste immobile. Une fois, deux fois. Après une longue attente, une annonce du steward, enfin, un peu gêné: «en raison de la vague de chaleur, l’appareil ne peut pas décoller avec sa charge prévue. Avons-nous des passagers qui peuvent reporter leur voyage?» Regards gênés. Les minutes passent, puis les demi-heures. Deuxième annonce: les voyageurs «bénéficieront d’un bon d’achat». Le couple se laisse finalement convaincre: ils ont encore des jours de congés devant eux.
Acte 2: Les aventuriers du rail. Le jour suivant, les températures ne sont pas plus clémentes. Au guichet, on leur répond sèchement que l’avion est déjà surbooké, et qu’il faudra attendre. Notre couple d’estivants décide finalement d’entreprendre le voyage en train. Les paysages défilent. Les retards aussi, surtout en France où la canicule a aussi progressé, et où plusieurs liaisons de train ont tout bonnement été supprimées. Une mesure de sécurité à cause de la dilatation thermique des rails, selon l’annonce en gare, qui «s’excuse de ce désagrément». Pas un mot, en revanche, sur la panne de climatisation dans les trains… Et pendant ce temps, les forêts françaises brûlent en Gironde, comme en Grèce l’an dernier, lit Daniel sur son smartphone.
Acte 3: Un retour sur le grill. Quelques nuitées d'hôtel plus tard, au gré des correspondances, les Müller rentrent enfin en Suisse. Abattus par la fournaise, qui a eu le mauvais goût de les suivre. Que faire? Il leur reste trois jours de congés avant la reprise du travail. Plutôt que de rentrer directement en ville, Daniel et Catherine voudraient bien aller souffler un peu au vert, en montagne. Ils déchantent rapidement en allumant la radio: un glacier, après plusieurs chutes de glace préoccupantes, s’est tout bonnement effondré il y a quelques heures, bloquant une partie des accès routiers qu’ils pensaient emprunter. Puisque c’est ainsi, les Müller rentrent.
En garant la voiture, Daniel essuie son front, et jette un œil aux chiffres du cockpit: plus de 40°C à l’ombre. Et il se dit qu’il va aller voir s’il leur est possible, au moins pour cette nuit, de dormir au frais dans l’abri anti-atomique de l'immeuble…
Epilogue: Tout ce qui précède est bien sûr fictif, mais inspiré de faits réels:
En Antarctique, un glacier de la taille de la Floride montre des signes avant-coureurs d’effondrement, faisant craindre une élévation du niveau des mers de l’ordre d’un mètre en 2100.
En 2017, à Phoenix, en Arizona, des compagnies aériennes ont dû annuler plusieurs vols. En cause, des températures élevées qui font chuter la portance des appareils…
Les Maldives sont particulièrement vulnérables face à la montée des eaux, avec 80% de ses terres situées à moins d’un mètre d’élévation au-dessus du niveau de la mer.
Un glacier s’est effondré début juillet en Italie. Sa configuration est semblable à celle de plusieurs glaciers suisses.
En France, l’opérateur ferroviaire a dû s’adapter aux fortes chaleurs de cette semaine, au point de devoir ralentir certains trains pour ne pas risquer l’accident face à la surchauffe des rails.
En Chine, où sévit aussi actuellement une vague de chaleur à plus de 40°C, plusieurs résidents ont trouvé refuge dans les abris anti-aériens construits au sous-sol de certains immeubles.
Enfin, la vague de chaleur extraordinaire de la mi-juin, comme celle de cette semaine, a d’abord touché le sud de l’Espagne, avant de se déplacer sur la France, puis la Suisse.
Quand la réalité dépasse la fiction. L’an dernier, l’Europe a été frappée par plusieurs catastrophes naturelles meurtrières: inondations, glissements de terrain, feux de forêt… Si l’on fait partie des chanceux qui ont des vacances, faut-il continuer à parcourir le monde pendant cette saison de tous les dangers? Quelque part, ce voyage initiatique des Müller à travers la crise climatique, c’est aussi le nôtre.