Le prix de la démocratie. Premièrement, l’Occident devra soutenir les réfugiés ukrainiens qui fuiront la guerre et l’occupation, ainsi que limiter sa propre dépendance envers la Russie. Il s’agira de faire face à probablement la plus grande crise de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale, car l’Ukraine est un pays de plus de 44 millions d’habitants. Pour les pays occidentaux, y compris la Suisse, cela va impliquer des efforts économiques, des changements de modes de vie, et de repenser plus généralement les priorités politiques.
En même temps, cela va impliquer une douloureuse diversification des approvisionnements énergétiques pour de nombreux pays européens. Tout cela sera le prix à payer pour défendre la démocratie et notre modèle de société. Il sera dès lors primordial pour les pays occidentaux de faire preuve de solidarité, alors qu’aussi bien la crise des réfugiés que celle de l’énergie ne vont pas tous les impacter de la même manière.
Eviter une confrontation directe avec l’OTAN. Deuxièmement, l’Occident devra définir la nature du soutien militaire à apporter aux forces qui continueront à se battre en Ukraine. À ce titre, il faut noter que le soutien actuel est déjà comparable à ce qu’était le soutien aux moudjahidine afghans contre l’URSS à la fin des années 1980. La question du soutien à une guérilla ukrainienne (et potentiellement moldave et/ou géorgienne, si Poutine attaque ces pays) sera éminemment politique. Comme pendant la Guerre froide, il faudra à tout prix éviter le risque d’une confrontation direct entre l’OTAN et la Russie qui pourrait amener la troisième guerre mondiale. Pour cette raison, il n’y aura pas de zone d’exclusion aérienne de l’OTAN en Ukraine (et potentiellement en Géorgie et en Moldavie) et pas d’intégration de l’Ukraine (et probablement pas de la Géorgie et de la Moldavie) à l’OTAN ni à l’Union européenne.
À la fin de la séquence militaire actuelle, deux blocs armés se feront face sur de nouvelles frontières et s’opposeront par des moyens indirects (sanctions économiques, conflits en Ukraine et dans des pays tiers, cyber attaques, espionnage, etc.). Il est très probable que, pour des raisons de politique domestique, notamment en Russie, cela s’accompagnera aussi d’une rhétorique belliqueuse et d’un début de course aux armements.
Le «soft power» pour maintenir les liens. Troisièmement, l’Occident devra à la fin de la guerre maintenir des contacts avec la Russie et probablement lever une partie des sanctions (peut-être dans le cadre d’une négociation sur l’Ukraine). Moscou restera fortement isolé et son économie sera en lambeaux, mais il faudra discuter avec les Russes du contrôle des armements nucléaires et de sujets internationaux comme l’Ukraine, la Syrie, l’Iran, la Corée du Nord, le Sahel et le changement climatique.
Il sera aussi, comme au temps de l’URSS, important de maintenir des liens avec le peuple russe, y compris des échanges culturels et scientifiques et des échanges économiques limités. Le but sera d’offrir aux Russes «ordinaires» la perspective et l’exemple d’une vie meilleure à l’Ouest, alors que leurs conditions de vie en Russie vont rapidement se dégrader. Il sera donc essentiel de développer le «soft power» (réseaux sociaux, média, films, musique, littérature, etc.) occidental qui avait largement contribué à la chute de l’URSS. Tout en gardant certains liens avec la Russie, l’Occident devra aussi faire preuve de solidarité dans son opposition à Moscou, alors que certains pays pourraient être tentés par une normalisation plus rapide des relations.
Finalement, comme à l’époque de la Guerre froide, l’Ouest ne pourra pas pousser activement pour un changement de régime à Moscou du fait du risque nucléaire. La Russie sera dénoncée dans les organisations internationales et la propagande russe sera mise à mal sur internet, mais il s’agira malheureusement surtout d’attendre que le régime de Vladimir Poutine s’affaisse de lui-même économiquement et politiquement dans la décennie qui vient.