A gauche comme à droite, on se réjouit de tenir enfin le gros lot électoraliste, en pleines prémices d’élections fédérales. Des fois que les Etats-Unis, l’Italie, la France, Israël et j’en passe, eussent été des modèles à suivre… On adorera tous se détester dans un monde divisé autour des questions de genres et du droit à l’avortement. Ou même du burkini, comme à Genève – il fallait aller le chercher, celui-là. Le kif général.
C’est bankable, le sociétal
En même temps, comment leur en vouloir à nos partis suisses, de capitaliser sur ce qui marche? Parce que c’est bankable, l’ultra-sociétal. Ca cartonne partout, sur les réseaux, à la télé, au café du commerce. Woke, le mot magique qui rend tout le monde hystérique. Il faut dire qu’ils y vont à la bombe H, les tenants des luttes progressistes, en guerre contre les «vieux mâles blancs».
Plus de «gros» ni de «noir» chez le scénariste Roald Dahl, plus de Bardot en fesses dans Godard, plus de nus dans les musées qui avilissent le corps de la femme, plus de JK Rowling, jugée transphobe pour avoir associé les règles aux seules femmes. Et si le prochain, la prochaine à se faire cancel («annuler»), c’était vous?
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N’oublions pas non plus l’urgence à mettre en place des toilettes non genrées et l’écriture inclusive dans des écoles où les élèves, notamment défavorisés ou issus de l’immigration, peinent déjà à acquérir les bases idiomatiques. Pour s’en sortir, il leur restera toujours le foot – milieu progressiste s’il en est – ou le ménage…
Les trans de l’apocalypse
En face, les réactions sont tout aussi nuancées. Prononcez les mots «vegan», «trans» ou «féminisme», et voici convoquées l’apocalypse et l’extinction de la race. Non, coco, c’est l’inverse: consommer des SUV et voler en EasyJet nous conduit plus durablement à la fin du monde qu’accorder des droits supplémentaires à tous.
Mais il faut l’admettre, la nuance, c’est has-been. Et les partis l’ont bien compris. Le monde fait peur, et ils n’ont pas de solution digeste à apporter aux grands bouleversements: changement climatique, crises économiques, accroissement des inégalités planétaires mais aussi locales, retour de la guerre… Et surtout, aucune envie réelle de les endosser, ces solutions.
Donc: focus sur notre porte-monnaie (la fin du mois plutôt que la fin du monde) et sur les questions de mœurs. Ces débats-là ne fâchent pas les puissants: l’économie mange de tout, du woke comme de l’anti-woke.
Ils s’aiment, ils s’adorent
Du pain et des mœurs, la ficelle fonctionne à gauche comme à droite. L’UDC n’avait qu’à adapter la formule qui a porté Giorgia Meloni au pouvoir en Italie, et révolutionné, avant elle, la droite américaine autour de Trump. Quant à la gauche, elle s’inspire de la recette qui marche en Allemagne, en France et en Espagne notamment (à la pointe des lois transgenres). Il est d’ailleurs intéressant de relever que dans la guerre de clans qui l’oppose en sourdine aux Verts, le PS s’en sort bien, campé sur les deux jambes du social et du sociétal.
Et plus les uns montent, plus les autres montent. Janus à deux têtes. Ils se galochent tellement qu’ils s’aiment en secret, ces idiots utiles les uns aux autres. De petits «black blocks» de la pensée politique, qui creusent chaque jour un peu plus nos divisions. Mais peut-être aussi, pour le camp se voulant progressiste, sa propre tombe.
Le jour d’après, ultra-réactionnaire?
Que voit-on si on se dénombrilise un chouïa?
Les violences contre les homosexuels et leur intensité sont en hausse régulière depuis une dizaine d’années, y compris en Suisse.
Aux Etats-Unis (dix ans d’avance sur nous), nombre de droits déjà bien entamés reposent sur le fragile maintien au pouvoir d’un Joe Biden cacochyme.
Et à l’échelle de la planète, les forces ultra-réactionnaires sont partout à l’œuvre, mettant en péril notre petit monde occidental, certes perfectible, mais garant de nos libertés fondamentales.
Alors, please, calmons un peu nos divisions. La démocratie aussi est une minorité à défendre. En priorité.
* Ce mouvement venu d’Amérique du Nord vise à lutter contre les discriminations sociales fondées sur la race, le genre, ou frappant toute catégorie de personnes jugées vulnérables, comme celles souffrant de handicaps. Le terme woke est refusé en général par ceux qu’il désigne, perçu comme une étiquette impropre, utilisée par ceux qui cherchent à les discréditer.