«Wagner a éclipsé les tristes généraux de Moscou»
La société militaire privée d’Evgueni Prigojine, crapule pétersbourgeoise qui gravite depuis trois décennies dans l’orbite du maître du Kremlin, mène désormais les combats dans tous les secteurs difficiles du front où l’armée russe (autrefois la redoutée «Armée rouge») a prouvé son ineptie face à la résistance organisée de troupes ukrainiennes de mieux en mieux équipées par les alliés occidentaux de Kyiv.
Les soldats russes n’ont pour le moment triomphé que dans la discipline du bombardement indiscriminé de civils à distance et dans l’enlèvement d’enfants ukrainiens destinés à l’adoption par quelque couple du fond de la Sibérie en mal d’enfant.
Wagner prend tellement de place sur le terrain qu’elle a fini par éclipser les tristes généraux de Moscou. Au rythme où Poutine les remplace, on peine de toute manière à retenir leur nom, contrairement à celui du bandit Prigojine, pour qui la surenchère macabre dans les tranchées du Donbass est une aubaine. Il peut compter sur les dizaines de milliers de prisonniers de droit commun commodément élargis pour venir repeupler ses rangs de mercenaires stipendiés, éclaircis par la mitraille adverse.
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De la chair à canon? Sans aucun doute: dans les environs de la mine de sel de Soledar, que les Russes viennent de conquérir après y avoir laissé des milliers d’hommes sans égard pour leurs dépouilles, les soldats ukrainiens ont évoqué des «tapis de cadavres». L’Institute for the Study of War (ISW) à Washington estimait en début de semaine que sur les 40'000 détenus poussés sur le front dans les rangs de Wagner, seuls «5000 à 10'000 seraient encore en vie». Ils ne seront donc pas nombreux à réussir leur pari: six mois de combat en première ligne, en échange de la liberté. Et Bakhmout, objectif des Russes depuis septembre dernier, n’est toujours pas tombée.
Privatiser la guerre en donnant les clés à des mercenaires sans famille (et donc sans les encombrantes «mères de soldats» à gérer à domicile), l’idée n’est pas neuve. Sans remonter aux Suisses de François Ier, on se souvient des lunettes noires des flingueurs américains barbus de Blackwater qui faisaient le coup de poing à Falloujah dès l’été 2003 contre les insurgés sunnites. Ils avaient carte blanche pour leurs opérations noires: ils ont dérapé, ont assassiné, se sont aussi fait, parfois, dézinguer.
La nouveauté, avec Wagner, consiste peut-être dans l’extension du domaine du cynisme.
Une armée de soudards et de prisonniers
Tandis que Prigojine parade à Soledar en rêvant déjà de s’asseoir, un jour prochain, au Kremlin, ses hommes viennent de s’installer dans le rôle de «conseillers» de la présidence à Ouagadougou à 5000 kilomètres des plaines mortifères d’Ukraine.
Au Burkina Faso, les putschistes au pouvoir, forts de ce soutien russe, ont donné un mois aux militaires français pour décamper, suivant le scénario déjà éprouvé ces derniers mois au Mali et en Centrafrique. Il ne reste bientôt plus rien du «pré carré» français en Afrique de l’Ouest.
En janvier 2023, une armée privée russe constituée de soudards et de prisonniers tient ainsi le pouvoir dans trois capitales africaines et mène une guerre de conquête coloniale à l’est de l’Ukraine, empruntant au besoin au répertoire génocidaire. Le groupe Wagner arbore une tête de mort sur son emblème, tout comme un sinistre prédécesseur qui lui aussi voulait «libérer» l’Ukraine au début des années 40.