Ukraine: Les Russes prennent aussi les enfants

Un homme et sa fille devant un mémorial dédié aux combattants tombés pour défendre leur pays, le 8 septembre 2022. | Keystone / AP / Efrem Lukatsky

Un an de guerre en Ukraine et la petite musique s'accentue, qui aimerait renvoyer Kiev et Moscou dos à dos. Que faut-il de plus qu'un génocide, s'interroge notre chroniqueur sur les questions internationales, le journaliste et écrivain Serge Enderlin.

Cette chronique a été publiée dans notre newsletter du vendredi soir, le Point de vue. N'hésitez pas à vous inscrire, c'est gratuit.

Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. Alors nommons. Un an. L’effroi. Marioupol, Izioum, Boutcha. Des noms, des villes, désormais synonymes pour l’éternité de crime absolu.

Des fosses communes remplies de civils, les mains attachées dans le dos, une balle dans la tête. Les vols, les viols, les tortures, les exécutions, les disparitions. Le missile de croisière dans la cuisine jaune de Dnipro. L’aplatissement des cités, le déluge de feu insensé sur les centres urbains très loin de la ligne de front.

La méthode Grozny, perfectionnée à Alep, appliquée avec acharnement sur les villes de l’Est de l’Ukraine qui prétendent résister. Severodonetsk et Lissitchansk l’été dernier, Bakhmout depuis six mois livrée aux vagues suicidaires des soudards de Prigojine.

Dans la guerre barbare que livre le régime fasciste russe sur les terres d’Ukraine, la cruauté est une méthode de travail, largement documentée. Selon le dernier décompte du procureur général ukrainien, plus de 66'000 crimes de guerre ont été relevés. Ces choses sont connues, rapportées, montrées, dites, prouvées. Et pourtant, on s’habitue.

Sous prétexte de «colonie de vacances»

S’y ajoutent maintenant les témoignages de parents ukrainiens sans nouvelles de leurs enfants. Bien souvent des écoliers qui, au prétexte d’une «colonie de vacances» organisée par les autorités russes d’occupation dans les zones qu’elles contrôlent dans le Donbass, ont été emmenés hors du territoire ukrainien sans que l’on sache où ils se trouvent. «Partout où ils le peuvent, les Russes prennent les enfants. L’objectif est le même depuis cent ans: il s’agit de détruire la nation ukrainienne», témoignait lundi au Parisien Mykola Kuleba, directeur de l’ONG Save Ukraine. La vérité est que des couples russes sans enfants adoptent aujourd’hui au fond de la Sibérie des enfants ukrainiens «orphelins» de parents qui ne sont pas morts.

Evgueni Mezhevoy, un père célibataire de Marioupol, a ainsi été séparé de ses trois enfants de 7, 9 et 13 ans dans un «camp de filtration» où les Russes tentent de traquer les volontaires ukrainiens. Il n’a retrouvé leur trace que des semaines plus tard, quand l’aîné est parvenu à lui envoyer un message: les trois gamins étaient hébergés dans un sanatorium à… Moscou, promis à l’adoption et à la russification. «J’ai débarqué deux jours plus tard, se souvient le père. Les enfants étaient très surpris de me voir arriver dans ce centre où on leur avait répété qu’ils ne me reverraient jamais. Je pense qu’on a voulu voler mes enfants.» Evgueni Mezhevoy a pu les récupérer, toutes les histoires ne se terminent pas tragiquement.

Non, ce n’est pas une «guerre de perceptions»

Mais méditez plutôt ce chiffre: selon Kyiv, 16'000 petits Ukrainiens seraient actuellement «déplacés» en Russie. De tous les crimes abominables commis par le régime de Poutine en Ukraine depuis un an, celui-ci tord particulièrement les tripes. Il est constitutif à tous les coups de la définition de «crime contre l’humanité», notion reprise il y a quelques jours par la vice-présidente américaine Kamala Harris – la première fois que Washington l’utilise depuis le début de l’invasion russe.

Enlever des enfants pour les «rééduquer» et modifier par la force leur identité porte un nom: le génocide. Alors non, la guerre en Ukraine n’est pas une «guerre de perceptions», ainsi que la qualifient les négationnistes de l’immédiat. Non, elle n’est pas un affrontement entre deux logiques concurrentielles que l’on pourrait commodément renvoyer dos à dos. Non, elle n’est pas la foucade certes meurtrière mais au fond excusable d’une Russie revancharde fouettée par l’impudence d’un Occident désireux de «l’affaiblir, et même de la démanteler», comme l’a dit le dictateur de Moscou mercredi.

Trois cent soixante-cinq jours après le commencement de cette boucherie contemporaine, il est urgent de marteler ces évidences: un agresseur, un agressé. Un responsable, et coupable en chef: le tueur en série du Kremlin.