Quelqu'un se soucie-t-il du profil politique des soldats suisses?

On ne sait jamais de quoi l'avenir sera fait. Si la Confédération connaît de graves troubles démocratiques à l'avenir, quel rôle jouera l'armée? Michel Huissoud, ex-directeur du Contrôle fédéral des finances et fin connaisseur des rouages politiques bernois, appelle à s'intéresser à la question, si saugrenue puisse-t-elle paraître de prime abord.

Des membres de l'armée de Schwerizer sécurisent la zone pour les médias lors de l'exercice militaire "Pilum 22" sur l'autoroute A1 en Argovie, le 28 novembre 2022. | Keystone / Ennio Leanza

L'été dernier, la guerre en Ukraine aidant, nos parlementaires bourgeois se sont attachés à augmenter le budget militaire de deux milliards de francs. Sans vraiment savoir ce qu'ils voulaient acheter. En fait, un peu de tout, pour autant que cela soit produit par des entreprises d'armement suisses. Donc plutôt des mortiers que des drones intelligents.

L’Ukraine semble également pousser l'autre camp politique à reconsidérer ses positions sur la nécessité d'une armée. Il est donc probable que le débat sur la taille de l'armée suisse et sur son alimentation, comme disent les militaires, reprendra bientôt. (Autrement dit, comment régler l’épineuse question des désaffections, avec un risque de sous-effectif d’ici à 2030, ndlr.)

Les réactions à l’actuelle menace extérieure ne doivent pas nous faire oublier un autre risque, celui de la menace intérieure. Dans une société, l'armée partage le monopole de la violence avec la police. Elle peut toujours être tentée de l'utiliser contre ses dirigeants. Cela se produit régulièrement en Afrique, cela a été le cas en Turquie en 2016. La prise du Capitole en janvier 2021 n'a pu être maîtrisée que grâce à la loyauté des forces armées américaines.

L’armée comme gardien démocratique

Ce n'est malheureusement pas écrit dans notre Constitution fédérale, mais nos soldats sont aussi là pour défendre la démocratie et les institutions politiques. Au besoin, en désobéissant à leurs supérieurs qui tenteraient de s'immiscer par la force dans le jeu démocratique. Ce débat était très actuel en Suisse dès la fin du 19e siècle, avant que notre armée ne suive malheureusement le général Wille, le drill prussien et le principe d’obéissance absolue.

D’où la question: quel est le profil politique du soldat suisse, en particulier quel est son degré de loyauté envers la démocratie? Mon hypothèse: l'introduction du service civil en 1996 pourrait avoir eu l’effet malheureux de contribuer à écarter de l'armée une partie des esprits trop critiques.

L'ancien examen pédagogique des recrues a évolué vers les «enquêtes ch-x auprès de la jeunesse». Selon les directives du DDPS, qui a toujours le contrôle sur ces enquêtes, celles-ci devraient notamment couvrir le thème «Valeurs, attitudes et compétences politiques, notamment dans le domaine civique». Il serait passionnant de suivre l'attitude des recrues suisses vis-à-vis de la démocratie sur une longue période.

Malheureusement, ce sujet ne semble intéresser ni les militaires ni les chercheurs. Les résultats des personnes inaptes au service ne sont pas séparables des résultats des futurs soldats et civilistes.

Une armée de Suisses allemands de droite?

Sandro Cattacin, le sociologue qui a analysé ces données, constate cependant que le profil politique des femmes engagées dans l’armée se situe plus à droite que celui de la population suisse. La grande majorité des femmes reste en effet à l’écart de l’armée. Peut-être à tort? Les exemples étrangers montrent que la menace qui pèse sur elles peut être plus conséquente que l’élévation de l’âge de la retraite. Un officier suisse estimait que l’armée nationale afghane aurait probablement mieux résisté aux talibans si les femmes y avaient été intégrées.

En passant, pourquoi ne pas poser une question impertinente. Depuis des années, le taux d'inaptitude au service est significativement plus élevé dans tous les cantons latins que dans tous les autres cantons. Commentaire pudique du DDPS: «Les différences entre les taux d'aptitude des différents cantons s'expliquent en partie par les différences de taille et de structure de la population des différents cantons».

Cela signifie qu’en proportion, notre armée est plus suisse-allemande que la population suisse. Je trouve cela malsain pour la cohésion nationale.

Un mot sur notre chroniqueur

Juriste de formation, expert en audit, «shérif» pour les médias, Michel Huissoud a été chargé de la surveillance de l’administration fédérale durant plus de trente ans. Il milite aujourd’hui pour une révision totale de la Constitution fédérale, et signe des chroniques pour le magazine alémanique Beobachter et Heidi.news.