Contre cette «menace de mort de trop», comme était titré l’article qui la relatait, Annick Chevillot a déposé plainte, soutenue par l’avocat de Heidi.news. «La menace de mort peut inciter d’autres à faire de même, avait estimé notre avocat. Il faut éviter qu’un détraqué passe à l’acte.»
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A une exception près, nous n’avons pas saisi la justice pour les autres insultes et menaces reçues, même si certaines tombaient sans doute aussi sous le coup de l’article 180 du Code pénal, qui a permis de condamner l’internaute jurassien.
La tête froide des juges
Pourquoi? Parce que nous n’avons pas de département juridique à plein temps. Parce que nous préférons investir notre temps dans la recherche d’informations et l’écriture. Parce qu’il ne faut que quelques secondes pour publier une menace sur les réseaux sociaux alors que d’obtenir la condamnation de l’auteur prend huit mois et coûte cher, y compris en investissement émotionel.
Voilà pourquoi l’ordonnance pénale jurassienne est tellement importante, pour notre rédaction comme pour notre profession en général! Peu importe que nous l’ayons attendue longtemps, elle montre qu’il n’y a pas d’impunité. Qu’une menace de mort est un délit. Qu’il y a encore, dans cet emballement de l’actualité, des réseaux sociaux, des commentaires à l’emporte-pièce, des juges qui gardent la tête froide.
Sur le fond, l’internaute jurassien a écrit en février dernier que le journaliste nazi Julius Streicher a été pendu à Nuremberg en 1946, le tribunal ayant conclu que «son soutien médiatique à des crimes de guerre constituait lui-même un crime». La suggestion étant que notre journaliste méritait le même sort.
La violence latente
Il se trouve que l’ombre du procès de Nuremberg plane sur notre époque. Plusieurs figures complotistes l’invoquent à tout-va pour en faire une version 2.0 et juger les responsables politiques ainsi que les scientifiques les ayant conseillés durant la pandémie. Or Nuremberg n’est pas qu’un procès. C’est douze condamnations à mort après les pires atrocités commises au XXe siècle et, malgré ses imperfections, c’est un acte fondateur de la justice internationale. Brandir sans-cesse Nuremberg, comme le fait l’Allemand Reiner Fuellmich (qui s’est exprimé à Berne vendredi dernier pour supplier les Suisses de refuser la loi Covid), comparer le passe sanitaire à l’étoile jaune imposée aux Juifs par les nazis comme le fait la genevoise Chloé Frammery, leurs petits jeux de mots de «passe nazitaire», tout cela n’est pas seulement une dérive antisémite – parce que cela nie la spécificité et la gravité de ce qu’ont subi les Juifs sous Hitler par comparaison avec les contraintes sanitaires actuelles bien anodines. Cela revient à faire exister une violence latente, suspendue au-dessus de nos têtes, que nous percevons chaque jour dans les insultes et les menaces qui s’entassent dans nos boîtes mails et sur les réseaux sociaux.
Fin février, notre avocat avait conseillé, pour cette menace-là, de déposer plainte, avec cet argument: «Quand on reçoit une menace de mort, on va tendanciellement faire moins bien son travail, avait-il dit. Vous, les journalistes, n’êtes pas des héros. Personne ne l’est, en fait. Personne n’a envie de mourir sur l’autel de la démocratie. Une telle menace peut vous inciter à l’auto-censure, pour vous protéger.»
Nous n’avons en rien baissé les bras depuis huit mois, mais cette ordonnance de la justice jurassienne vient comme un encouragement. Nous continuons de faire notre travail, d’accomplir notre mission, en toute indépendance et sans nous laisser intimider. Nous sommes ouverts à la discussion et aux critiques, mais pas aux insultes ni aux menaces.