«Nous assistons à la renaissance de l’Iran»

Yasmine  Motarjemi

Elle aura été l’étincelle dans la poudrière. Le 16 septembre 2022, à Téhéran, une jeune femme kurde de 22 ans, Mahsa Amini, décède trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs. Son crime? Ne pas avoir couvert ses cheveux correctement. A sa mort, une pluie de manifestations s’abat sur le régime islamique, pour protester contre le traitement infligé à la jeune femme et le port obligatoire du voile. Depuis, il répond par la violence. Il massacre, arrête, déporte. Les proches des manifestants concernés n’ont souvent aucune idée de leur sort.

Rien qu’en écrivant ces lignes, nous faisons courir un risque à nos proches, au pays. Mais les enjeux nous dépassent. Ils dépassent même l’Iran. C’est un combat pour la liberté et pour les droits de l’homme.

À ce jour, des centaines de personnes ont été tuées, dont au moins 60 enfants. Un des plus jeunes, Kian, avait 9 ans. Au moins quatorze mille personnes ont été arrêtées. Six d'entre elles ont déjà été condamnées à mort, dont le rappeur Toomaj Salehi. Dans les prisons, l’heure est à la torture et au viol. Des écolières ayant manifesté contre le régime ont été battues, à mort pour l’une d’entre elles.

Toutes les professions et les milieux socio-économiques sont concernées: journalistes, avocats, actrices, défenseurs des droits de l'homme, médecins, musiciens, cinéastes, étudiants. Même la nièce du Guide suprême aurait été arrêtée pour avoir qualifié le régime de «meurtrier».

A l’image de l’avocate Nasrin Sotoudeh ou de la journaliste et militante Narges Mohammadi, qui ont osé soutenir des femmes ayant fait tomber le voile, toute personne qui défend les droits de l’homme ou critique le régime islamique risque d’être arrêtée.

Des lois rétrogrades face à des aspirations démocratiques

N’oublions jamais que nombre de personnes ont péri aux mains du régime avant Mahsa Amini. Les Iraniens souffrent depuis des décennies. Après la révolution de 1979 et la chute du roi Mohammad Reza Pahlavi (le «Chah d’Iran», ndlr.), le régime islamique a été imposé à un peuple qui rêvait de démocratie.

La population a perdu presque toute sa liberté et des années noires ont débuté. D'anciens dirigeants et opposants ont été exécutés arbitrairement, sans procès équitable. Des lois rétrogrades, vieilles de plusieurs siècles, ont été imposées et les religieux ont gouverné par la terreur et la répression. Au cours de ces quarante dernières années pourtant, la population, et en particulier la jeunesse, a bénéficié d’une bonne éducation. Elle aspire désormais à une vie moderne et une société démocratique. C’est ce fossé entre le pouvoir et son peuple qui, à force d’injustices et de corruption, a mené aux révoltes actuelles.

Le régime islamique ne représente pas l’Iran

La population vit dans la souffrance, aux mains d’un régime décidé à garder le pouvoir quoi qu’il en coûte. Les conditions économiques sont désastreuses, en partie à cause de la politique étrangère du gouvernement et des sanctions qui en ont résultée. Chaque jour, les Iraniens voient leur pouvoir d'achat diminuer et la corruption gagner du terrain. Il devient toujours plus difficile de survivre. Le taux de chômage augmente et fait plonger toujours plus de jeunes dans la dépression, la drogue et la prostitution. Alors que beaucoup vivent dans la misère, d'autres baignent dans l'opulence.

Les dissidents — journalistes, personnalités publiques, avocats… — sont arrêtés et croupissent en prison. Nombre d’entre eux ont été exécutés, comme Navid Afkari, jeune lutteur iranien de Chiraz, pour avoir participé à une manifestation contre le gouvernement. Son frère Vahid Afkari a été condamné à 54 ans de prison.

Difficile cependant de quantifier la répression, qui se joue dans l’ombre. Selon diverses sources, lors des manifestations de 2019 contre l’augmentation du prix de carburant, le régime a tué des centaines de personnes, peut-être 1500, et arrêté 7000 opposants. Un massacre silencieux.

De nombreuses familles ont éclaté. C’est le dur prix de l’exil. Certains ont traversé mers et montagnes pour échapper au régime et les moins chanceux ont été contraints de s’établir dans des camps de réfugiés.

Pour l’Iran et pour le monde

Aujourd'hui, les Iraniens, jeunes et âgés, au pays et à l'étranger, Azéris, Baloutches, Kurdes, et Perses (les quatre grands groupes ethniques du pays, ndlr.), luttent courageusement, ensemble, pour reprendre le pays à un pouvoir qu'ils considèrent comme étranger à leur culture, à l’image du roi maléfique Zahhak.

Nous assistons ici à «la renaissance» de l’Iran et peut-être même à la première révolution portée par des femmes et soutenue par des hommes!

Le soulèvement du peuple iranien n'est pas seulement une révolte politique, mais également une révolution sociale et culturelle pour faire respecter les droits de l'homme. C’est un combat pour des valeurs universelles.

L’accès à la justice, la liberté d’expression, les droits des femmes et l’égalité des genres sont souvent considérés comme acquis, mais même dans les Etats les plus démocratiques, ils ne sont pas toujours respectés.

L’ancien Empire perse est le berceau historique des droits de l’homme. Puisse-t-il s’illustrer à nouveau et devenir moteur de changement dans le monde, notamment en Afghanistan. Pourvu que la souffrance du peuple iranien ne soit pas vaine.

En collaboration avec Shiva Khosravi