«Notre crime, c’est de ne plus avoir de pays. Notre pays est en guerre, c’est notre seul crime»

Emmanuelle Werner Gillioz

L'auteure accompagne des migrants vers l'emploi. Elle dit son indignation de la décision de renvoi d'Alireza, jeune Afghan qui s'est suicidé à Genève. Elle le sait: Alireza était sur le chemin de la réussite et se projetait dans le futur.

Le titre de ce texte est un cri du cœur porté par un ami d’Alireza, ce jeune Afghan qui a mis fin à sa vie le 30 novembre dernier à Genève. Il venait d’apprendre la non-entrée en matière sur sa demande d’asile et son renvoi vers la Grèce. La Grèce, Alireza y avait déjà passé un an et demi avant de rejoindre notre pays. Dix-huit mois de survie dans le camp de Moria où il avait subi de terribles violences et dont il était sorti traumatisé.

Cette décision du Secrétariat d’Etat à la Migration (SEM) est inhumaine et me choque en tant que professionnelle de l’inclusion des jeunes issus de la migration, en tant que citoyenne suisse aussi.

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Interrogée sur les ondes de la RTS, la porte-parole du SEM reconnait que le cas est «très regrettable». Une formule indigne quand on sait que le Tribunal administratif fédéral et le SEM avaient sous les yeux un rapport médical faisant état de la grande vulnérabilité psychologique d’Alireza et du risque élevé de passage à l’acte suicidaire en cas de renvoi.

Pas le premier suicide

A Genève, c’est l’incompréhension et la colère. Alireza n’est malheureusement pas le premier jeune à s’être suicidé. Un autre jeune requérant d’asile mettait fin à ses jours en 2019, acculé par un système et une prise en charge défaillante. Il s’appelait également Ali Reza, il était lui aussi afghan. Suite à son décès, son cercueil fut envoyé en Afghanistan sans que la famille, réfugiée en Iran, n’ait été consultée. Ne pouvant se résoudre à laisser pourrir le corps de leur enfant dans un hangar de l’aéroport de Kaboul, ses proches durent aller le chercher sur place au risque de s’exposer à des dangers évidents. En 2018, c’est un jeune Erythréen du nom de Yemane qui s’ôtait la vie, ne pouvant plus faire face aux obstacles quotidiens.

«Une pratique illégale au regard des normes fondamentales du droit international.»

Les mots vous manquent? Il va pourtant falloir en trouver, des mots, pour dénoncer une politique migratoire suisse qui renvoie des personnes demandeuses d’asile vers des pays où leurs droits sont bafoués. Une pratique illégale au regard des normes fondamentales du droit international. Une politique migratoire qui refuse aussi des demandes d’asile de jeunes qui sont arrivés mineurs en Suisse et qui ont redoublé d’efforts pendant des années pour s’intégrer, bravant nombre d’obstacles.

Travail de sape de l’administration

Pour Berne, ces jeunes ne sont peut-être que des numéros de dossier, mais pour de nombreux citoyens, derrière les noms, il y a des êtres humains. Ces décisions administratives réduisent à néant les efforts d’intégration des jeunes, soutenus par le travail et l’engagement de nombreux organismes, professeur·es, éducateur·trices, assistant·es sociaux, familles d’accueil. Ces décisions administratives sapent le travail d’associations, qui comme la mienne, œuvrent au quotidien pour faire de leur intégration professionnelle une réussite. Ces décisions administratives écœurent aussi les employeurs qui se voient ainsi privés de leurs apprenti·es, alors même qu’ils les considèrent comme une valeur ajoutée au sein de leurs entreprises.

Beaucoup d’acteurs étaient investis dans le parcours d’Alireza. Il était sur le chemin de la réussite et se projetait dans le futur. 

La tragédie de son décès et l’écueil dans lequel ses camarades se trouvent souligne à quel point les autorités migratoires suisses faillissent à la lettre et à l’esprit du droit d’asile. Elles faillissent à la «longue tradition d’accueil» qu’on attribue volontiers à notre pays, elles faillissent aux citoyen·nes suisses qui, comme moi, ne se reconnaissent pas dans un système qui détruit ainsi des existences et bafoue la dignité humaine.

L’heure des déclarations est passée, il faut que le système change, maintenant.