Les Etats ont une opportunité à saisir au WEF de Davos

Keystone / Gian Ehrenzeller

Un détail n’a pas échappé pas aux habitués du Forum économique mondial qui s’est ouvert en présentiel ce dimanche à Davos, après deux années d’empêchement: point de neige sur les montagnes grisonnes, on est en mai et pas, comme d’accoutumée, en janvier. Mais les bouleversements qui doivent occuper le WEF et ses quelque 2500 participants n’ont eux rien d’un détail: le monde change, l’urgence est partout et l’idée qui fait de l’économie florissante le principal moteur de la paix et de la félicité a du plomb dans l’aile.

Une édition «historique». Le mantra martelé par Klaus Schwab est clair: crises énergétique, climatique, de la biodiversité et alimentaire, guerre en Ukraine, inflation galopante, «l’histoire est à un tournant». Pour le le fondateur du WEF, cette édition 2022 est la plus importante depuis un demi-siècle.

La plus tendue, aussi, des dernières décennies. Avec l’exclusion totale de la Russie et un gouvernement chinois resté à Pékin pour cause de stratégie «zéro Covid», deux des trois plus grandes puissances mondiales manquent à l’appel. Dans ce contexte, il n’y a rien de révolutionnaire à attendre de ce Forum économique mondial. Mais la portée de sa caisse de résonnance est suffisamment grande pour que des messages stratégiques y soient envoyés. Et il s’agit de bien les repérer.

L’Ukraine «invitée d’honneur». Parmi les quelque 2500 participants annoncés, on trouve plus de 50 chefs d’Etat ou de hauts responsables, comme le chancelier allemand Olaf Scholz, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ou le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg.

Un casting tout désigné pour, d’abord, parler de la guerre en Ukraine et de ses conséquences internationales dramatiques. Le WEF ne s’en cache d’ailleurs pas puisque le premier chef d’Etat qui s’exprimera (lundi) sera le président ukrainien Volodymyr Zelensky, en visioconférence depuis Kiev. Sur place, à Davos, l’Ukraine sera aussi représentée par Mykhailo Fedorov, vice-premier ministre et ministre de la Transformation numérique, Vitali Klitschko, maire de Kiev, ainsi que cinq parlementaires et Zoya Lytvyn, fondatrice d’une grande école dans la capitale.

Moment de bascule? Mais quel est l’intérêt, finalement, de parler d’une guerre dont on parle déjà partout où ça compte — l’ONU et ses agences, USA, UE, OTAN, G7, etc. —, qui plus est en l’absence de la Russie et de la Chine? Ce WEF ne sera-t-il, de dimanche à jeudi, qu’un prolongement de ces discussions sans aucun apport propre? Se résumera-t-il à une kermesse et une succession de cocktails pour les puissants, comme le présentaient avec humour et cynisme les deux Vincent de la RTS samedi soir?

Pas si sûr. Très schématiquement, le fait est que, pour que l’économie tourne, il faut produire des biens ou des services et que ceux-ci soient consommés. Or production et consommation sont rendues difficiles par les crises actuelles, et sont désormais remises en question de manière de plus en plus officielle. Le mot «sobriété» n’est plus un tabou.

S’ajoute à cela que le binôme production-consommation requiert, pour fonctionner à plein, ordre, stabilité et sécurité. Ce que les Etats ne sont plus forcément en mesure de garantir sur leur propre territoire, devant faire face à toujours plus de défiance, de mouvements de protestation, de gestes de «désobéissance civile». Même le Capitole de Washington a été pris d’assaut!

Considérés comme inféodés à l’économie par une partie de la population, les Etats chercheront-ils à profiter de ce WEF 2022 pour se remettre au centre du jeu? Après tout, et contrairement à ce qu’il prétend parfois, même le libéralisme a besoin d’un Etat fort. Sans lequel manqueraient les indispensables travailleurs-consommateurs qui font tourner la machine.