La vraie histoire d’Alep. Mes amis syriens à Paris me parlent tous de «Pour Sama», le documentaire de Waad Al-Kateab qui sort aujourd’hui en salles. Le 9 octobre, c’est aussi la date anniversaire en 2015 des premières grandes frappes russes en Syrie, qui visaient les rebelles, pas l’Etat Islamique, qui ont fait 600 morts en trois semaines. J’irai voir ce film au plus vite à Palaiseau. On me dit que cette réalisatrice syrienne est la première à raconter la vraie histoire des bombardements d’Alep, qui plus est d’une manière très touchante.
«Nous ne sommes pas les derniers». En novembre, je participerai à une exposition pour le centenaire de Primo Levi, l’auteur du plus grand récit de survivant d’Auschwitz. J’ai lu «Si c’est un homme» il y a un an. Ça m’a évoqué une expression du peintre slovène Zoran Mušič qui m’a toujours beaucoup parlé au vu de mon vécu dans les prisons syriennes. Lui aussi a été déporté, à Dachau, mais il n’a rien exposé à la fin de la guerre. C’est 20 ans plus tard, en pleine guerre du Vietnam, que sa mémoire s’est réveillée et ça a provoqué la création d’une série de gravures de ses souvenirs intitulée «Nous ne sommes pas les derniers». Ce titre me parle beaucoup car moi aussi j’ai l’impression que l’être humain n’apprend jamais de ses bêtises. Rendez-vous à la Commanderie de Saint-Quentin en Yvelines pour l’exposition.
Enchères à Genève pour sauver des vies en mer. Dans une semaine, mercredi 16 octobre, au Cercle des bains de Genève, je participerai à une vente aux enchères de dessins et de photos au profit de SOS Méditerranée, la fameuse association qui a déjà sauvé plus de 800 vies depuis cet été avec son nouveau bateau, l’Ocean Viking. Des dessins de Chappatte, Zep, Pierre Wazem et Tom Tirabosco et des photos de Niels Ackermann, Matthieu Gafsou et Christian Lutz seront également proposées à la vente. La soirée sera menée par le journaliste Darius Rochebin et Caroline Abu Sa’da, directrice de SOS Méditerranée Suisse.
Des infos qui comptent
Les tulipes de Koons. Je suis fasciné par la polémique accompagnant l’inauguration des tulipes que Jeff Koons a offertes à Paris pour se faire de la publicité après les attentats du 15 novembre. J’ai du mal à me faire une opinion. A la radio, j’ai entendu dire que c’était le symptôme d’une «disneylandisation de Paris». J’observe avec curiosité ce monde de l’art contemporain, si loin de moi. Koons est un grand artiste mais c’est devenu une banque à lui tout seul, un investissement pour hommes d’affaires. C’est particulièrement ironique quand on pense que ses chiens et ses fleurs en forme de ballons sont censés nous dire «Le capital c’est du vide». Toujours est-il que j’aimerais bien vendre un dessin au même prix que ses sculptures…
Les délires d’Al-Sissi. Ces dernières semaines, en Egypte, des manifestants partageaient une vidéo du général Al-Sissi. On l’entend dire que des centaines de milliers d’enfants naissent chaque année dans son pays et qu’autant de diplômés arrivent sur le marché du travail, qu’il ne peut rien y faire et qu’il ne sait donc pas comment leur trouver un job. Les internautes lui répondent «avec tout ce territoire, avec la vallée du Nil, avec le potentiel touristique du pays, avec le gaz, avec le pétrole, pourquoi garder le pouvoir si tu ne peux rien faire?» Al-Sissi dit aussi que Dieu l’a choisi pour protéger les Egyptiens alors qu’il est un tyran du moyen âge perdu dans les temps modernes, comme tous ceux qui ont été évacués par les printemps arabes. Je pense que ces printemps vont continuer. Je ne sais pas quand ni comment, mais ils vont continuer. Le pouvoir est dans les tripes d’Al-Sissi, il ne le lâchera plus. Pour lui, c’est simple, tous les opposants sont des terroristes. Ce retour des dictateurs, c’est comme si nous étions condamnés à vivre écrasés par deux monstres: les dictatures militaires et les islamistes.
À l'affiche
Le dessin que j’envoie à Genève, je l’ai réalisé au dos d’une affiche trouvée dans une salle où j’exposais, à La Roche-sur-Yon. J’ai utilisé ces grands formats entre 2016 et 2017, en plein bombardement d’Alep. Tous les jours, j’entendais parler de ce qu’il s’y passait et des armes qui circulaient. Derrière une autre affiche, j’ai dessiné des prisonniers. Les visiteurs ont été surpris de voir la dureté et la tristesse de ce que j’avais dessiné. De l’autre côté de ces affiches, il y avait des images de cirque et de gaité.
Ma raison d’espérer
De la neige dans le désert. Sur Youtube, je suis tombé sur une vidéo que je ne retrouve plus. On y voyait de jeunes Saoudiens qui jouaient avec du sable en disant «Regardez toute cette neige». Ils ont fait ce sketch dans le cadre des marches pour le climat auxquelles ils voulaient participer à leur manière. Ça m’a fait penser au contraste que j’avais déjà senti en suivant la grande Marche pour le climat de Montréal, cette ville où il fait si froid alors que des parties du monde sont déjà brûlées par la chaleur. Le message de ces jeunes youtubeurs est «regardez, nous vivons déjà dans ce que vous craignez». Et cette ironie me parle beaucoup. J’ai vécu beaucoup d’horreurs, mais je continue à aimer rire.
Ça m'a étonné
«La Longue Nuit syrienne». J’ai été marqué par une conférence récente à l’association Souria Houria (Syrie Liberté) à Paris. Michel Duclos, ancien ambassadeur de France à Damas, y parlait de son livre «La Longue Nuit syrienne». Ce livre est très intéressant, Duclos y raconte son vécu en Syrie et décrit comment le fonctionnement mafieux de la famille Assad a mené le pays dans cette embrouille et la région dans cette situation. Une des questions discutées pendant la conférence est de savoir pourquoi, à cause des Américains, il n’y a pas eu d’intervention de l’OTAN en 2013, après les attaques chimiques. Ce qui s’est dit, c’est qu’on avait affaire à un régime qui fait peur à l’Occident. Un criminel auquel on n’ose pas s’attaquer. Son arme nucléaire, c’est les assassinats qu’il peut commanditer partout dans le monde. Ça m’a fait un choc d’entendre ça de la part d’une grande puissance. S’il y a un criminel dans un quartier et que les autorités ne font rien parce qu’elles ont peur de lui, des enfants instables de ce quartier peuvent perdre leurs repères et faire n’importe quoi. Comme ces jeunes qui se font manipuler par les terroristes. Ça fait douter de la justice. D’ailleurs, ma fille veut faire du droit, je ne sais pas trop quoi en penser quand j’entends ça.
Si vous avez encore le temps
Riad Sattouf
Lisez ou relisez «L’Arabe du futur» de Riad Sattouf. Je viens de finir le dernier tome en date. Je suis né dans la même région que lui, c’est très réaliste ce portrait triste de la Syrie dans laquelle il a en partie grandi. Et en même temps, ça me donne confiance en moi, j’ai vécu tout ça, et pire encore, et je suis là, je m’en sors. Quand on vit dans de tels pays, on est noyé dans cette situation, on ne se rend plus compte. Cette BD m’a aidé à reprendre mes distances avec la Syrie, à réfléchir à comment on y vit. Elle est poignante, je suis fasciné par ce trait à la fois simple et expressif. C’est dommage que ce livre ne soit pas traduit en arabe et en même temps ça ne m’étonne pas. Je regrette beaucoup qu’il n’y ait pas de liberté de caricature dans les pays arabes, c’est des régions très dangereuses pour les caricaturistes. Et ça débouche sur des drames comme ce qui s’est passé à Charlie Hebdo.
«Aucun de nous ne reviendra». Un autre livre qui m’a marqué juste avant de lire Riad Sattouf est celui de Charlotte Delbo. Charlotte Delbo était une des femmes déportées en 1943 de Compiègne à Auschwitz. «Aucun de nous ne reviendra» évoque les souffrances qu’elle y a subies. Ce n’est pas parce qu’il y a eu deux guerres mondiales que l’art n’a pas fait son travail de sublimation de l’être humain. Quand j’étais à l’école des beaux arts de Damas, un prof dont la position n’était pas très claire par rapport au régime, m’a dit que si il y avait eu une école d’art dans chaque ville de Syrie, il n’y aurait pas eu de guerre civile. En Europe, cependant, avant les guerres mondiales, il y avait des écoles d’art dans les villes, qui ont rempli leur mission de sublimation, mais qui n’ont pas pu empêcher l’horreur.
Bio express. Najah Albukai était professeur des Beaux-Arts à Damas, mais il a été emprisonné quand il a manifesté son opposition au régime. En prison, il a connu la promiscuité extrême et la torture. Ces souvenirs sont le sujet de nombre de ses dessins. Il vit aujourd’hui avec sa femme et sa fille en région parisienne où l’Académie des Beaux-Arts a mis à sa disposition un atelier dans une résidence d’artistes à Chars, dans le Val d’Oise.