Heidi Gender Tracker: Pourquoi suivre la parité dans nos articles?

D'après Creative Commons

Qu’est-ce que Heidi Gender Tracker? Ce projet, sélectionné en 2019 par la Google Digital News Initiative, construit un outil permettant de suivre la proportion d’hommes et de femmes cités dans nos articles. Mené avec un laboratoire de l’EPFL, il s’appuie sur un algorithme d’intelligence artificielle basé sur le «deep learning». L’algorithme est encore en développement, mais nous en avons déjà tiré plusieurs leçons chiffrées, résumées dans un article à part. Ici, nous précisons notre démarche.

Pourquoi c’est un sujet. Le manque de représentation des femmes parmi les sources citées par les journalistes est un problème bien connu. Un problème complexe que les algorithmes ne suffiront certainement pas à résoudre. Mais avant de savoir comment agir, il faut disposer d’indicateurs chiffrés et automatisés permettant d’établir le diagnostic.

Le constat. Il est bien connu dans la profession, et il est généralisé. Au niveau mondial, la proportion de femmes interrogées par les médias est de l’ordre de 20-30%. En Suisse, ce pourcentage était en 2015 encore de seulement 24%, radio, télé et presse écrite confondues. Les racines de ce phénomène sont complexes, entre plafond de verre qui ralentit les carrières féminines dans la recherche, manque de temps pour répondre aux médias à cause des inégalités de répartition du temps dans la sphère familiale, parfois même manque de confiance en sa légitimité d’experte…

Et la pandémie aurait encore aggravé le problème. C’est le cas en France pour les radios et télé, expliquait Le Monde en juin 2020. Le problème touche aussi la Suisse, expliquait la RTS, s’appuyant sur la proportion d’experts et d’expertes qui sont intervenus auprès du Conseil Fédéral.

Pour y remédier, diverses initiatives sont nées, qui ciblent particulièrement les professionnels de la presse. Un exemple français: le site web Les Expertes, qui entend fournir un catalogue d’expertes sujet par sujet, et aider ainsi le journaliste qui ne saurait pas par où commencer. Pour sa part, la BBC a lancé l’ambitieux projet 50:50, qui se base également sur des analyses chiffrées des textes produits par la rédaction.

Le problème. Mais ce n’est évidemment pas aussi simple! Car il est rare qu’un journaliste aborde un sujet vierge de toute idée de contact… Les carnets d’adresse se construisent au fil d’une carrière, souvent se partagent au sein d’une rédaction ou entre confrères en fonction de l’actualité. Sur des sujets très pointus, le nombre d’experts, dans une zone géographique donnée, par exemple la Suisse romande, peuvent se compter sur le doigts de la main.

La conséquence peut être un effet de «bulle», en particulier notable à la télé (mais les médias écrits, dont Heidi.news, n’échappent pas à la règle!), où l’on voit revenir régulièrement, sur un même thème, les mêmes experts. C’est la loi, implicite dans la profession, qui veut que lorsqu’un expert est clair, intéressant et disponible, on le rappellera plus volontiers, et son nom circulera davantage entre confrères. Le danger serait que ces «bulles» ne se transforment en vase-clos où l’on ne lirait (ou n’écouterait) plus que les mêmes experts.

Reste à savoir s’il est souhaitable d’atteindre le 50%/50%? En ce qui me concerne, je me souviens de la réponse farouche que m’avait opposé la mathématicienne Laure Saint Raymond sur la sous-représentation des femmes dans certaines disciplines scientifiques: «La conséquence immédiate d’approches comme l’instauration de quotas, c’est celle du soupçon. Or, il est important que toute intervention pour favoriser la parité ne nuise pas à la légitimité des femmes.» Et une deuxième question ouverte, quasi philosophique: le journalisme doit-il représenter le monde tel qu’il est, ou le monde tel qu’il devrait être pour l’aider à changer?

Quelles que soient les réponses à ces questions, la première étape, c’est de savoir d’où l’on part: c’est tout l’enjeu de Heidi Gender Tracker, dont vous pouvez retrouver les premiers résultats ici.