«Dès que j’ai déposé ma plainte contre Tariq Ramadan, la pression a été insoutenable»
Interviewée avant le verdict d'acquittement, «Brigitte», la plaignante suisse du procès Ramadan, explique les pressions extrajudiciaires intenses qu'elle a subies dès sa plainte déposée contre Tariq Ramadan. Un témoignage qui pose question sur le statut des victimes potentielles, à l'issue d'un procès où l'asymétrie entre partie plaignante et défense est apparue de façon criante.
Tariq Ramadan a été acquitté ce mercredi 24 mai 2023 par le Tribunal correctionnel de Genève, au bénéfice du doute. Il était accusé d'avoir, en 2008, violé et contraint sexuellement une femme, surnommée «Brigitte» par la presse. Le premier procureur Adrian Holloway avait requis une peine de prison de trois ans, dont 18 mois ferme, à l'encontre du théologien. Le tribunal a relevé l’absence de preuves matérielles et de témoignages directs pour pouvoir se forger une intime conviction de culpabilité. Les avocats de la plaignante vont faire appel du jugement.
Les audiences, du 15 au 17 mai, se sont concentrées sur les événements de cette nuit du 28 octobre 2008, dans un hôtel de la rue de Lausanne à Genève. Elles n’ont pas abordé, ce n’était pas leur objet, ce qui s’est passé pour Brigitte après le dépôt de sa plainte le 13 avril 2018, au moment où Tariq Ramadan est détenu en France, accusé de viol par quatre autres femmes.
Au-delà du verdict et du recours, Brigitte nous a relaté ce qu’elle a vécu, après sa plainte, de la part de Tariq Ramadan, de son entourage, de ses avocats et de ses partisans. «La pression a été insoutenable dès que j’ai déposé plainte, dit-elle. J’ai très souvent été à deux doigts de la retirer, tellement c’était dur à vivre.»
Cet entretien a été réalisé le 22 mai, après les audiences et avant que ne soit rendu le verdict du procès. La date de publication — après le verdict — a été choisie délibérément par Heidi.news pour ne pas perturber le bon déroulé des délibérés.
Heidi.news — Votre identité a été révélée à plusieurs reprises alors qu’en principe, dans une procédure de ce type, l’anonymat doit être protégé. Que s’est-il passé?
«Brigitte» — En août 2018, Myriam Ramadan, sa fille aînée, a donné mes initiales sur les réseaux sociaux. En septembre, un des avocats de Tariq Ramadan, Emmanuel Marsigny, a déclaré qu’il savait qui était la plaignante suisse et que des révélations allaient suivre. Début 2019, mon nom complet est sorti sur les réseaux, avec mon numéro de téléphone, mon adresse, celle de mon frère ou le nom de l’institution qui accueille ma fille handicapée. Le site Réveil citoyen a publié des photos de moi. La ville romande où je vis, qui ne figure nulle part dans le dossier, a été citée maintes fois dans des posts avec la mention «tic tac tic tac», comme si bombe allait exploser et me détruire. Tout cela qui a facilité la tâche pour des pressions physiques.
C’est-à-dire?
En 2021, un automobiliste s’est arrêté à ma hauteur dans la rue, il a crié mon nom plusieurs fois et puis «Allah akbar». L’année d’avant, une autre personne que je ne connaissais pas m’a agressée verbalement au marché. La pression physique a aussi été forte lors des deux confrontations avec Tariq Ramadan auxquelles j’ai participé à Paris en 2020. Il y a eu de nombreux incidents, à la fois dans les murs du tribunal et au dehors.
Et sur les réseaux sociaux?
C’est indescriptible. Cela a été un torrent de menaces, d’insultes, de dénigrements, de haine, de mensonges. Certains jours, il y avait plus de 1000 messages. Je me réveillais la peur au ventre pour découvrir ce qui avait été dit sur moi pendant la nuit. J’ai fait des captures d’écran mais beaucoup de messages étaient effacés après quelques heures. Ou alors, le compte qui les avait envoyés était fermé, pour rester intraçable. Des comptes qui affichaient le logo «FreeTariq» ont publié l’image d’un homme avec une hache et comme légende «Here I come… to kill you». Et c’était pas toujours anonyme: Ouadie Elhamamouchi, un des avocats en France de Tariq Ramadan, a publié sur son compte Twitter une notice «Death note» avec comme légende: «En faire un bon escient… au bon moment…» et écrivant après: «Je dis ce que je fais, je fais toujours ce que je dis.»