Viande et CO2: le célèbre centre Clear accusé de copinage avec l’industrie

Keystone / DPA / Mohssen Assanimoghaddam

Les recherches sur l’empreinte carbone des élevages ont-elles été intoxiquées? Le New York Times et le média Unearthed (fondé par Greenpeace UK) ont révélé le 31 octobre que le centre de recherche académique Clear (Clarity and Leadership for Environmental Awareness and Research) de l’Université de Californie à Davis, un poids lourd dans la recherche sur l’agriculture et le climat, entretient des relations étroites avec le secteur agro-industriel, notamment les entreprises d’élevage. De même que le chercheur à la tête du centre, Frank Mitloehner – qui bénéficie d’une large audience sur Twitter.

Des millions de l’industrie. Le centre Clear, qui ne se cache pas d’entretenir une «collaboration avec le secteur de l’élevage», reçoit des fonds de la part de l’Institute for Feed Education and Research (IFeeder), une fondation issue de l’industrie de l’élevage. Un lien d’intérêt qui «n’influence[rait] pas les recherches», à en croire le site de l’institut. Mais le montant de ce financement, qui n’avait jusqu’alors pas été ébruité, met en doute cette indépendance proclamée: depuis sa création, le centre Clear a reçu 2,9 millions de dollars de la part d’iFeeder, soit 90% des donations au total.

Des «contributions et conseils». Les deux médias ont aussi mis la main sur une note confidentielle de 2018 – avant la création du centre – préparée par IFeeder et engageant le Clear Center à mettre en place un bureau consultatif de 12 représentants de l’industrie agroalimentaire, chargé d’émettre des «contributions et conseils» sur les «priorités de recherches et de communication de l’industrie».

Exemple mis en avant par les journalistes: une campagne vidéo «Repenser le méthane» publiée par Clear en 2020, qui met en avant la faible durée de vie du méthane dans l’atmosphère et en tire argument pour conserver le statu quo sur le nombre d’animaux d’élevage.

Un directeur qui mobilise sur les réseaux sociaux. La posture du directeur du centre, Frank Mitloehner, est aussi dans le viseur. Le scientifique s’était fait remarquer en 2019 pour sa vive attaque d’un rapport du Eat-Lancet, qui appelait parmi d’autres mesures, à réduire la consommation de viande rouge de 50%. Et ça marche: dans un bulletin du Clear Center adressé aux financeurs, le chercheur aurait été crédité d’avoir «mobilisé une campagne massive» qui a «réussi à détourner les publics indécis» du rapport, écrivent les journalistes.

Dans la note précitée, le directeur du centre Clear est clairement désigné comme «une voix neutre, crédible et tierce», qui «montrerait aux consommateurs qu'ils peuvent se sentir bien» en mangeant de la viande. De quoi rappeler certaines méthodes de l’industrie du tabac.

La parole à la défense. Contacté par le New York Times, Frank Mitloehner juge incorrecte l’information selon laquelle son centre fournirait des services de communication pour l’industrie, et ajoute que le bureau consultatif ne bénéficie d’aucun pouvoir décisionnaire. Et le directeur d’ajouter qu’attirer l'attention de l'industrie sur les recherches augmente la probabilité qu'elle adopte des pratiques respectueuses de l'environnement.

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A lire dans le New York Times (EN)