Que peut apprendre la France de l'agriculture suisse?

Récolte de raison dans une vigne de Champagne, 5 octobre 2006. | Keystone / Helem / ASA-Pictures

... et réciproquement? Le Club Déméter, puissant think tank français sur les questions agricoles et d'alimentation, a convié cette année la Suisse à livrer son point de vue sur l'agriculture hexagonale. Voyons ce que nous apprend ce regard croisé.

«Me demander de critiquer l’agriculture française, c’est un peu comme demander à Hakan Yakın de critiquer l’équipe de France», s’amuse Martin Pidoux, chef de l’économie rurale à la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL). «On a un regard autant critique qu’admiratif.»

Comment la petite Suisse, qui produit seulement 50% de son alimentation, voit son grand voisin exportateur net de produits agricoles? C’est ce qu’ont cherché à savoir Martin Pidoux et Francis Egger, vice-directeur de l’Union suisse des paysans, à l’occasion de la parution de l’édition 2023 du Déméter, ouvrage français de référence sur l’agriculture et l’alimentation.

Pourquoi on en parle. Le Club Déméter et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) explorent et analysent, à travers un ouvrage annuel, baptisé «le Déméter», les grands défis, innovations et perspectives de l’agriculture. Entre conflits géopolitiques, changement climatique et transition énergétique, l’agriculture est mise à rude épreuve.

Martin Pidoux et Francis Egger ont été sollicités par le Club Déméter pour écrire un chapitre du Déméter 2023 sur les «Performances de la France agricole vues de Suisse». Une bonne occasion de solliciter un regard croisé de part et d’autre du Jura.

Entre similitudes et différences. Martin Pidoux et Francis Egger ont commencé par dresser une comparaison entre les secteurs agricoles suisse et français. Ce qui les différencie:

  • La taille: la surface agricole utile (SAU) de la France est 27 fois plus importante que celle de la Suisse. Même rapporté à la population des deux pays, la France reste le poids lourd: elle compte 4 fois plus de surface par habitant.

  • La répartition des surfaces: le territoire helvétique étant très montagneux, 70% de la SAU est composé d’herbage (pour l’élevage) alors que chez nos voisins les grandes cultures (céréales, etc) dominent.

  • Le soutien de l’Etat à l’agriculture: les subventions allouées au secteur sont beaucoup plus élevés côté Suisse, afin de compenser «l’îlot de cherté» que représente le pays en Europe.

  • Le bio: la Suisse consacre 16% de sa SAU à la culture biologique contre presque moitié moins (8,5%) pour la France.

  • Les protections douanières: elles sont trois fois plus élevées en Suisse.

  • La démocratie directe: elle permet aux citoyens suisses de se prononcer sur la politique agricole, alors que les processus décisionnaires hexagonaux vont du sommet à la base.

Ce qui les rapproche:

  • Une agriculture très diversifiée.

  • Des exploitations familiales à taille humaine.

  • Le nombre d’exploitations diminue dans les deux pays — plus rapidement en Suisse qu’en France.

  • Une tendance à la baisse de la valeur de la production.

  • Les objectifs énoncés dans les politiques agricoles.

Ce que pensent les experts suisses. Les deux auteurs ont interrogé 47 professionnels du monde agricole sur leur perception de l’agriculture française. L’exercice était très intéressant, s’enthousiasme Martin Pidoux.

«En analysant ce qui se fait ailleurs, on apprend autant sur l’autre que sur soi.»

Les points positifs retenus par les professionnels suisses:

  • Le professionnalisme de l’agriculture française, sa compétitivité et sa capacité à s’organiser et à collaborer.

  • La grande reconnaissance de la qualité et la fierté des produits du terroir. Les agriculteurs suisses reconnaissent que la Suisse devrait s’en inspirer.

Les points négatifs retenus:

  • Le manque d’entretien des exploitations. En bref: dans l’Hexagone, ce serait le «cheni». Une vision des choses qui en dit probablement autant sur l’agriculture suisse que sur la française. Ici, on aime le propre en ordre.

Martin Pidoux explique que si la Suisse a de quoi s’inspirer de la France, elle a aussi de quoi inspirer en retour son grand voisin.

«L’agriculture suisse peut servir d’inspiration sur la durabilité et l’impact environnemental, particulièrement sur les aspects du bien-être animal et de la biodiversité.»


Pour plus de coopération. Malgré des échelles et des contextes différents, les agriculteurs suisses et français sont confrontés à des problématiques similaires: impacts du changement climatique, perte de la biodiversité ou controverses autour des produits phytosanitaires, explique Martin Pidoux.

«La tentation du repli sur soi est grande, mais selon moi, ce n’est pas la solution. Il ne faut pas toujours raisonner à l’échelle nationale. Au contraire, il faut intensifier la collaboration, le dialogue et l’échange de bonnes pratiques pour répondre à ces défis, autant du point de vue économique que de la durabilité.»