Quatre citoyens qui vont orienter l’alimentation suisse de demain

De haut en bas et de droite à gauche: Cristian, Anne, Leidy et Philippe, membres de l’assemblée citoyenne pour une politique alimentaire, à Zurich, le 5 novembre 2022. | Heidi.news / NS

Cristian, Anne, Leidy et Philippe ont été tirés au sort pour composer l’Assemblée citoyenne pour une politique alimentaire. Quel bilan font-ils à la veille de la clôture officielle? 

En juin 2022, à l’occasion du lancement de l’assemblée citoyenne pour une politique alimentaire, Heidi.news avait fait la connaissance de Cristian, Anne, Philippe et Leidy, tous membres romands de ce processus démocratique inédit en Suisse, parmi les quelque 85 participants tirés au sort. Ils avaient accepté, entre deux sessions de travail, de nous partager leurs sentiments et attentes. Cinq mois plus tard, à Zurich, nous avons retrouvé des citoyens toujours aussi déterminés à ce que la Suisse offre en 2030 une alimentation durable, équitable, saine et respectueuse de la biodiversité.

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Cristian, 25 ans, étudiant en accompagnement de transition durable (NE)

Cristian, membre de l’assemblée citoyenne pour une politique alimentaire, à Zurich, le 5 novembre 2022. | Heidi.news / NS

En juin, Cristian cherchait dans l’assemblée citoyenne un cadre permettant la confrontation d’opinions. Il l’a eu. «J’ai eu des profils avec des avis très différents dans mon groupe», se réjouit l’étudiant d’origine espagnole. Après un premier travail d’acquisition de connaissances théoriques, qui a pu être «frustrant pour certains» – mais pas pour lui –, il a apprécié la place consacrée au concret, dont un échange avec une scientifique au sujet de l’empreinte carbone des aliments. «Cela nous a aidé à mieux définir ce qui était faisable ou pas» – un détail d’importance pour celui qui visait, lors de notre premier échange, des mesures simples facilement applicables par le Parlement. Notre interlocuteur salue aussi une formation apolitique avec les experts: «je ne me suis pas du tout senti influencé.»

Entre deux sessions de vote, Cristian nous partage deux mesures, parmi les nombreuses émises avec ces collègues: valoriser les aliments en vrac, et mieux contrôler la publicité, par exemple en diminuant le nombre d’annonces et en valorisant les productions locales. Plus de taxation des produits à plus grande empreinte carbone, comme il le proposait en juin dernier? L’étudiant n’est pas revenu sur son avis – une taxation sur les denrées les plus émettrices en dioxyde de carbone est d’ailleurs proposée –, mais préfère miser sur la carotte plutôt que le bâton.

Anne, 57 ans, directrice d’une ONG (GE)

Anne, membre de l’assemblée citoyenne pour une politique alimentaire, à Zurich, le 5 novembre 2022. | Heidi.news / NS

L’assemblée citoyenne a permis à Anne de prendre du recul. «Je m’intéresse à de nouvelles choses», dit-elle. Une phrase mystérieuse, que la Genevoise éclaire après quelque réflexion:

«Je suis plus sensible à ce que je vois dans les magasins, je me demande si on a vraiment besoin d’avoir 50 sortes de biscotte dans les rayons. Et je fais plus attention aux fruits et aux légumes de saison.»

Des mesures émises par l’assemblée, Anne ne souhaite pas en promouvoir une particulière. Quand on lui rappelle qu’elle misait initialement sur la relocalisation et la réduction des produits ultra-transformés, elle tempère: «C’est pas si simple en fait... J’ai appris que la production suisse ne peut pas couvrir les besoins de sa population. Les individus, mais aussi les entreprises, devront évoluer, et ça prendra du temps.»

La Genevoise craignait des débats polarisés sans bienveillance. «Il faut dire que l’équipe a fait un super travail, avec beaucoup de compréhension, de médiation et de patience», tient-elle à souligner. Si la réflexion qu’elle a menée avec 80 autres personnes reste «un débat de luxe» pour celle qui revient d’Afrique, elle est pleinement satisfaite d’arriver à cette phase de vote: «c’est très valorisant de contribuer à cela.»

Leidy, 32 ans, assistante dentaire (GE)

Leidy, membre de l’assemblée citoyenne pour une politique alimentaire, à Zurich, le 5 novembre 2022. | Heidi.news / NS

Nous retrouvons Leidy à l’issue de la première session de vote, au souper. En juin, Leidy se montrait particulièrement sensible à l’importance d’accéder à une alimentation saine, et d’éduquer la jeunesse au contenu de leur assiette, par des ateliers ou des visites à la ferme. Cette fois-ci, pas de mesure à appliquer en priorité: la Genevoise souligne l’importance de toutes les recommandations qui sont sur la table. Elle ajoute néanmoins que l’éducation aux enfants fait partie des mesures qui seront votées le lendemain.

Et l’éducation se fait aussi chez les adultes: «J’achète beaucoup moins de viande maintenant, à cause de l’empreinte carbone et la pollution». La jeune femme préfère désormais le marché de Plan les Ouates au supermarché pour ses fruits et légumes. Une évolution qui ne passe pas uniquement par l’assiette: «Que ce soit au niveau de l’alimentation, ou des déchets, j’essaie de devenir plus écolo.»

Philippe, 66 ans, rentier (VD)

Philippe, membre de l’assemblée citoyenne pour une politique alimentaire, à Zurich, le 5 novembre 2022. | Heidi.news / NS

Comme la première fois, on trouve Philippe une pomme à la main. En juin, ce végétarien prônait une réduction massive de la consommation de viande, voire son interdiction. «Mais c’est impossible avec nos institutions», admet-il. Alors il promeut plutôt une évolution dans les paiements directs, pour inciter au changement. A-t-il changé ses pratiques alimentaires depuis sa participation à l’assemblée citoyenne? «Pas du tout», nous répond-il avec aplomb. Avant d’ajouter: «J’ai déjà fait le travail que beaucoup devraient faire.»

Lors du lancement de l’assemblée, ce citoyen engagé doutait du caractère neutre ou transparent du processus. «Mais il l’a été, ils ont fait du bon boulot», loue-t-il. Un bémol peut-être: les cinq mois de travail restent courts pour assimiler l’ensemble des connaissances et plancher sur des recommandations.

Et maintenant? C’est là toute la question pour notre interlocuteur. Après avoir bûché pendant des mois, il attend de pied ferme que ce travail collectif soit entendu – et repris. «J’ai peur qu’on ait fait tout ça pour rien, comme en Macronie», craint le sexagénaire, en référence à la convention citoyenne pour le climat française.