Pourquoi aime-t-on le gras?

Image d'illustration. | Keystone / AP Photo / Frank Augstein

A l’heure où la malbouffe et l’obésité font des ravages dans le monde entier, les aliments gras sont souvent pointés du doigt. Mais pourquoi choisissons-nous plus facilement un gratin de pâtes qu'une salade de carottes?

Si je vous parle d’un burger accompagné de sa portion de frites, de fondue moitié-moitié ou d’un bon plat gratiné recouvert de fromage, il y a peu de chances que cela évoque chez vous le dégoût. Et il y a une raison à cela: l’humain a naturellement un penchant pour le gras.

Pourquoi on en parle. Bien que les chiffres suisses se soient stabilisés ces dernières années, en 2021, près de 42% de la population adulte souffre de surpoids (et 11% d’obésité). Même si les besoins énergétiques des humains ne le justifient plus, on continue de se tourner vers des aliments gras.

Bien avant l’arrivée de Mcdo. Ce n’est pas nouveau, notre amour du gras date de bien avant l’arrivée des chaînes de fastfood dans nos sociétés. Déjà au Paléolithique, on recherchait la graisse, entre autres dans la moelle osseuse et les tissus osseux, expliquent les historiennes Sandrine Costamagno et Camille Daujeard dans Histoire de l’alimentation.

«Entre des chasseurs vivant dans des contextes glaciaires dont l’alimentation est fondée presque exclusivement sur des ressources d’origine animale, des populations de forêts luxuriantes où les fruits abondent ou encore des groupes établis dans les savanes africaines ou le bush australien connus pour leur richesse en tubercules, rien de comparable dans les habitudes alimentaires, si ce n’est un goût insatiable pour le gras.»

Au-delà du fait que le gras permettait de combler les besoins énergétiques de nos ancêtres, il permettait aussi de stocker efficacement des ressources, sous forme par exemple de boulettes de graisse, de viande séchée en poudre et de baies déshydratées.

Cette attirance a perduré. Durant l’Antiquité, les Romains étaient particulièrement friands de matières grasses. Ils fabriquaient déjà du foie gras, qu’ils faisaient tremper dans du lait et du miel, et faisaient rôtir. Les recherches ont également montré que les Romains préféraient le moelleux au croustillant.

C’est entre le IIIe et le Ve siècles et avec l’apparition du christianisme que l’on instaure des jours «gras» et des jours «maigres» ou jours de jeûne, rappellent Christophe Badel et Alban Gautier, dans l’ouvrage Histoire de l’alimentation. La consommation de plats riches revêt donc non seulement un aspect sociétal, mais aussi religieux.

Aujourd’hui encore, à choisir, nous avons tendance à nous tourner vers un plat gras, comme l’a montré notre sondage publié le 11 novembre. En hiver, 62% des romands interrogés préfèrent des plats réconfortants à des plats jugés plus sains.

Lire aussi Dilemme: Les Suisses préfèrent-ils la raclette ou la fondue? [SONDAGE]

C’est la faute à notre cerveau. On sait que la texture et l’odeur des ingrédients influencent nos choix alimentaires. C’est «un trait humain universel», selon l’épidémiologiste et grand spécialiste de l’obésité Adam Drewnowski (Université de Washington). Les graisses sont responsables des propriétés sensorielles de nombreux aliments et contribuent largement au plaisir de manger. On peut difficilement faire plus clair.

Même si le gras ne fait pas partie des goûts que l’on peut ressentir, comme le sucré ou le salé, on aime ça! Les aliments gras ont une sensation en bouche particulière. Par exemple, le fromage fondu, la double crème ou le chocolat ont une texture que n’ont pas les légumes. Difficile de comparer un brocoli et une fondue, n’est-ce pas?

C’est pareil pour le goût. La cuisson des graisses libère des substances chimiques dans l'air, ce qui nous met l’eau à la bouche avant même de passer à table.

Et ce n’est pas tout, le gras rendrait heureux. Les graisses donnent une sensation de satiété, et lorsque nous nous sentons rassasiés, notre cerveau déclenche la libération d'hormones qui nous font également nous sentir détendus et satisfaits. C’est notamment pour ça que le concept de «comfort food» (nourriture réconfortante) existe. On se réconforte en mangeant quelque chose que l’on aime, et ça rime souvent avec des repas gras.

Les étudiants de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL) ont mis ce sujet en image dans une courte vidéo et réinterprétant librement les recherches des journalistes de Heidi.news. Réalisation: Nafi Touré

Voir aussi Depuis quand mangeons-nous du fromage?