Peu visible mais bien réelle: la précarité alimentaire augmente à Genève

Récolte de dons lors du samedi du partage, à Genève le 30 novembre 2013. | Keystone / Salvatore Di Nolfi

Malgré la fin de la pandémie et un taux de chômage bas, la précarité alimentaire augmente dans le canton de Genève, qui s'en inquiète et se mobilise.

En 2020, les images des files d’attentes de plusieurs heures devant la patinoire des Vernets pour recevoir un sac de denrées alimentaires marquaient les esprits romands. Aujourd'hui les queues ne sont plus là, mais la demande n’a pas diminué pour autant. Au contraire, elle a même augmenté.

Ce 10 février 2023, Thierry Apotheloz, conseiller d’état en charge de la cohésion sociale (DCS) à Genève, présentait les avancées et les perspectives du plan d’action contre la précarité. «La question de la précarité alimentaire sera au cœur de l’action départementale ces prochains mois», revendique le DCS.

Des besoins qui augmentent en flèche.

  • Au printemps 2020, au moment où la précarité alimentaire a été mise sous les projecteurs aux Vernets, la distribution organisée par la Caravane de Solidarité comptait un nombre maximum de 3500 bénéficiaires par semaine.

  • Durant l’été et l’automne 2020, ce chiffre a doublé pour atteindre des moyennes hebdomadaires de 6500 à 7000 personnes, explique Hossam Adly, secrétaire général adjoint au département de la cohésion sociale (DCS).

«Durant cette période, les autres petits acteurs de l’aide alimentaire n’avaient plus les ressources pour distribuer l’aide. On peut donc considérer que l’ensemble des besoins était de 7000 bénéficiaires.»

  • Aujourd’hui en 2022-2023, Partage distribue entre 7000 et 7500 cabas. Et les autres associations plus petites, au nombre de 65, ont aussi repris du service. Chaque semaine, c’est donc environ 8000 personnes qui bénéficient des Colis du cœur — sans compter les épiceries solidaires comme Caritas ou La Farce.

Même sans file d’attente visible, les besoins d’aide alimentaire ont donc doublé par rapport au plus fort de la pandémie, lorsque l’économie tournait au ralenti.

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Le prix du caddy. Comment se fait-il, alors que l’économie reprend son cours et que le taux de chômage est revenu à un niveau pré-Covid, que les besoins augmentent?

Thierry Apotheloz pointe du doigt l’apparition d’au moins un nouveau facteur majeur: l’inflation.

«Une crise en chasse une autre. En 2022, l’augmentation moyenne des prix en Suisse était de 2,8%, contre 0,6% en 2021.»

Quelle action du canton? Dans le cadre du plan d’action contre la précarité, le Canton a identifié trois axes sur lesquels travailler pour contrer l’insécurité alimentaire:

  1. Le financement de l’association Partage. Une aide sur quatre ans de 550’000 francs par année a été inscrite au budget afin d’aider l’association à acquérir les denrées.

  2. Le mode de distribution va être repensé en collaboration avec les partenaires du canton. Doit-on se diriger vers un modèle d’épicerie solidaire plutôt que de distribution de colis, une pratique souvent considérée comme stigmatisante? Si oui, comment?

  3. Les liens entre l’aide alimentaire et le système d’aide sociale, afin d’améliorer le ciblage des bénéficiaires. Il faut s’assurer d’atteindre toutes les personnes qui en ont besoin.

Un paradoxe. Pendant longtemps, l’association Partage bénéficiait des invendus des supermarchés. Mais l’amélioration de la gestion des stocks dans les supermarchés limite désormais les invendus. C’est aussi le cas des actions pour écouler les aliments bientôt périmés et des initiatives telles que Too Good To Go.

  • Les dons faits par les supermarchés à l’association se sont donc taris, et celle-ci doit se résoudre à acheter auprès des producteurs ou des importateurs.

  • Pour l’heure, ces frais supplémentaires sont couverts par le financement cantonal. Mais la situation n’est pas pérenne et des solutions de long terme devront être trouvées.

Le droit à l’alimentation en jeu. La réalité de la précarité alimentaire dans une ville comme Genève soulève la question du droit à l’alimentation. La population genevoise est appelée à se prononcer le 18 juin sur l’introduction de ce droit dans la constitution cantonale.

Si la loi est acceptée, le conseiller d’état «souhaite la création d’une commission externe pour une politique cantonale de l’alimentation».