La propriété des semences végétales met-elle les pays pauvres en danger?
La guerre des semences s'invite à Berne. Plusieurs ONG ont manifesté contre la dernière convention de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Avec des arguments de poids.
En pyjama rayé sur la Place fédérale. Le 2 décembre 2022, plusieurs organisations ont protesté à Berne contre «le monopole dont font l’objet les semences», et son impact sur les paysans des pays en voie de développement. L’épisode signe un nouveau bras de fer au sujet de la propriété intellectuelle des obtentions végétales. On vous refait le match.
Pourquoi on en parle. Entrave à la souveraineté alimentaire des pays pauvres, manque d’efficacité de la défense de la propriété intellectuelle, incompatibilité avec les traités internationaux… les critiques adressées aux grands semenciers sont nombreuses. Et la question brûlante. Le conseiller national Vert.e.s Nicolas Walder a décidé de porter le débat sous la coupole avec une initiative déposée cette semaine.
Sur le ring. D’un côté, la Coalition suisse pour le droit aux semences, qui réunit plusieurs organisations dont Public Eye, Uniterre, et Swissaid. De l’autre coin, l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV), une organisation intergouvernementale basée à Genève, dont l’objectif est la protection d’obtentions végétales par un droit de propriété intellectuelle (dit droit d’obtenteur). Autour du ring gravitent encore des entreprises, des politiciens et des organisations internationales, soutenant l’un ou l’autre des adversaires.
Au cœur du combat. Il y a la convention de l’UPOV de 1991. Le document, d’une vingtaine de pages, définit l’étendue de la protection accordée par un certificat d’obtention végétale – une sorte de brevet, mais moins restrictif. Il garantit, à tout semencier (l’obtenteur) proposant une variété «nouvelle, distincte, homogène et stable», un monopole sur les semences qui en sont issues pendant une durée de vingt ans minimum – vingt-cinq ans dans le cas des arbres fruitiers et des vignes.
C’est en fait la dernière version de la convention, en date de 1991, qui concentre les critiques. Simon Degelo, responsable du dossier semences et biodiversité à Swissaid, explique:
«L’idée de base de l’UPOV est d’éviter qu’un sélectionneur achète des graines d’un autre semencier et les reproduise pour les vendre lui-même. Il y a une certaine logique à mettre en place une protection, quand on sait que la sélection coûte cher et peut prendre plus d’une décennie. Nous n’avons rien contre cela.
En revanche, le standard de 1991 contient des critères plus stricts: des interdictions vis-à-vis des paysans.»
La pomme de discorde. Plus précisément, l’article 14 de la convention controversée interdit aux agriculteurs, sans autorisation de l’obtenteur et sauf exception:
la production ou la multiplication des semences protégées – aux alentours de 15’000 dans le catalogue de l’UPOV – et ce, quel qu’en soit l’usage;
leur conditionnement, commercialisation, exportation et importation.
En d’autres termes, l’agriculteur ne peut réserver une partie de sa récolte pour réensemencer ses terres et préparer la prochaine saison, sans l’autorisation du semencier. Une pratique qui n’était pas interdite dans la précédente version de la convention, de 1978.