Comment distinguer l’empreinte carbone du lait de celle de la viande?

Une vache doit mettre bas pour produire du lait, et la majorité des vaches laitières seront utilisées à la fin de leur vie pour leur viande. Comment démêler les émissions de gaz à effet de serre qui relèvent de l'un ou de l'autre de ces produits? On vous explique.

Des vaches laitières paissent à Stein, Appenzell Rhodes-Extérieures, le 22 juillet 2022. | Keystone / Gatean Bally

Suite à la publication de notre article consacré à l’empreinte carbone des aliments, un lecteur s’interroge sur l’intrication des secteurs de la viande et du lait, avec cette question que je me suis permise de reformuler:

«Comment est traité le fort couplage entre la production de lait et de viande? Est-ce que les études incorporent le fait que pour produire du lait, une vache doit mettre bas régulièrement?»

La réponse de Nina Schretr, journaliste. Cher lecteur, merci pour votre question – particulièrement pertinente. Les deux secteurs sont en effet très liés: une vache doit mettre bas pour produire du lait, sans compter que la majorité des vaches laitières passent leur retraite à l’engrais, avant de finir à l’abattoir pour leur viande. Comment faire dans ce cas la part des choses, et calculer l’empreinte carbone de ces deux produits?

L’étude publiée dans la revue Science et à laquelle nous nous référons consiste en une méta-analyse. Les auteurs ont effectué une revue systématique de 570 études, couplée à une analyse statistique de leurs résultats. Il faudrait donc revenir sur la méthodologie de chaque étude pour vous répondre en détail, vous nous excuserez donc de privilégier une réponse plus générale, en nous concentrant sur l’élevage bovin.

Vaches à lait, vaches à viande. Soulignons d’abord que selon la revue UFA, les vaches de réforme – d’anciennes vaches allaitantes ou productrices de lait – constituaient en 2021 près de 40% du poids d’abattage total du gros bétail, avec 153’000 animaux abattus.

«Le défi de l'évaluation des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la production de lait et de viande est que l'un ne peut pas aller sans l'autre», analyse Stefan Probst, enseignant en nutrition animale à la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL). Il est co-auteur d’un rapport dédié aux émissions de gaz à effet de serre de la production combinée de lait et de viande, publié en 2019.

Il ajoute:

«Il est donc difficile de déterminer clairement comment les émissions générées sont réparties entre l'un ou l'autre produit.»

Allocation d’empreinte carbone. Certaines études se lancent néanmoins dans ce type de calcul, dit d’allocation de l’empreinte carbone. Différentes méthodes existent, l’une d’entre elles étant l’allocation biophysique ou biologique, où l’on répartit les émissions selon l’énergie nécessaire aux différentes phases de vie de l’animal.

Dans ce dernier cas, l’allocation à la viande correspond à la croissance des génisses, aux veaux (donc indirectement à la gestation des vaches laitières et une partie de leurs besoins de survie et d’activité), et représenterait pour la Suisse environ un quart des émissions de GES des exploitations laitières suisses.

Un résultat parmi d’autres, qui peut varier si l'on ne prend pas en compte l'énergie nécessaire mais le poids de chaque produit, son apport protéique et énergétique, ou encore son impact économique. Stefan Probst analyse:

«Il y a de très nombreuses possibilités d’allocation entre le lait et la viande, et un résultat légèrement différent selon la méthode utilisée. Il est donc difficile de comparer différents résultats et d'en tirer les bonnes conclusions.»

Si les résultats peuvent varier selon la méthodologie, le constat général reste néanmoins que l’empreinte carbone d’un kilo de lait reste entre six et dix fois inférieure à celle d’un kilo de viande.

Complexité des calculs. Une méthode de calcul se distingue-t-elle particulièrement des autres? «Il est difficile de déterminer la “meilleure” ou la “plus judicieuse” allocation, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients», répond Stefan Probst. Sans compter la spécificité des méthodes de production, des races utilisées, de la valorisation des carcasses et des conditions de marché qui varient selon les pays, qui vont directement influencer l’empreinte carbone. De nombreuses variables composent l’équation.

Sortir du cadre. Afin de mieux modéliser l’empreinte environnementale de l’élevage bovin – et pas seulement l’empreinte carbone, mais aussi l’usage des terres ou encore l’eutrophisation – plusieurs chercheurs proposent d’étudier les deux filières de manière intégrée, et de ne plus scinder les produits. Cette «extension du système» est formulée pour la première fois dans la littérature scientifique en 2003.

C’est justement la démarche adoptée par Stefan Probst et les autres auteurs du rapport. Leurs conclusions mettent en évidence que si les émissions de GES par vache et par an sont plus faibles avec une vache à haut rendement laitier, cette dernière produira néanmoins moins de viande… qu’il faudra compenser avec des élevages de bovins à viande, eux aussi émetteurs de GES. Du moins si on n’infléchit pas la consommation de viande.

Agridea expliquait déjà en 2017 que «les vaches laitières étant de plus en plus productives, leur effectif a tendance à diminuer depuis 2012. Le faible effectif de vaches allaitantes ne permet pas de combler le manque de viande de transformation qui est compensé par des importations».

Ainsi, si on choisit l’angle de la performance à la fois laitière et bouchère, les races dites à deux fins – élevées pour le lait et la viande – génèrent moins de gaz à effet de serre que les vaches de type laitier.

Ce changement de paradigme – choisir comme référentiel un système plutôt qu’un atelier de production – rejoint une approche utilisée dans un nombre croissant d’études en agroécologie. Plusieurs chercheurs estiment qu’une empreinte carbone par kilo de viande ou de lait ne reflète pas la complexité des interactions entre l’élevage et son environnement – et les bénéfices environnementaux associés.

Lire aussi: Oui, la viande peut être bénéfique pour l’environnement

Pour aller plus loin

Si vous voulez encore creuser la question, vous pouvez éplucher ces rapports, que nous avons consultés pour répondre à votre question:

«KLIR: Modell zur Berechnung von Treibhausgasemissionen auf Milchviehbetrieben», Köke T. et al., Agrarforschung Schweiz 12, 2021.

«L’empreinte carbone du lait et de la viande bovine», Dolle J.B. et al., Rencontres autour des recherches sur les ruminants, 2009.

«Contribution de l'élevage bovin aux émissions de GES et au stockage de carbone selon les systèmes de production», Dolle J.B. et al., Fourrages, 2013.

«Méthode de suivi des réductions d’émissions en élevages bovins et de grandes cultures conforme au Label Bas Carbone», Carbon Agri, 2019.