Au Burkina Faso, «Nous avons peur que la COP27 ignore les éleveurs et le pastoralisme»

Du bétail cherche de l'ombre à Djibo, Burkina Faso, le 26 mai 2022. | Keystone / AP Photo / Sam Mednick

Cissé Boubacar pratique le pastoralisme «depuis sa naissance», comme quelque 200 millions de personnes dans le monde. Figure majeure des éleveurs du Sahel, ce Burkinabé d'une cinquantaine d'années fait face à l'insécurité politique et les menaces armées. Mais le principal danger qui menace sa vie et ses troupeaux est plus ample: le changement climatique. Alors qu’une délégation locale tente de rejoindre la COP27 pour porter la voix des pasteurs, il témoigne.

«Je m’appelle Cissé Boubacar. Eleveur depuis ma naissance, je possède à Dori, dans le nord du Burkina Faso, un troupeau d’une vingtaine de bœufs et d’une trentaine de petits ruminants – des moutons et des chèvres. Je coordonne le Conseil régional des unions du Sahel, une organisation d’éleveurs du nord du Burkinao Faso, qui est membre fondateur du Réseau Billital Maroobé, une organisation d’éleveurs et de pasteurs de toute l’Afrique.

Ici, au Burkina Faso, 80% de la population pratique l’élevage: c’est un moyen de tirer quelques revenus et de nourrir sa famille. Près de la moitié (45%) des éleveurs sont pasteurs, c’est-à-dire qu’ils pratiquent la transhumance. Celle-ci débute à l’intérieur du pays en ce moment, en novembre, afin de profiter des résidus des récoltes céréalières.

Puis nous quittons le Burkina Faso en février-mars, en début de la saison sèche, pour rejoindre la saison humide des pays côtiers: Cote d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin. Nous restons là-bas entre trois et six mois, voire un an pendant les périodes de sécheresse.

Nous sommes face à une crise pastorale

Pourquoi nous effectuons la transhumance? L’objectif principal est la protection des ressources pastorales, des pâturages qui deviennent rares à la saison sèche. Cela rentre dans le cadre de la stratégie des pasteurs de préservation de la nature. Concentrer des animaux sur un espace donné et une longue durée, cela dégrade les ressources. Il faut donc pratiquer la mobilité afin de permettre aux plantes du pays sahélien de se régénérer, et à l’animal d’avoir une croissance normale – entre un animal attaché et un autre en mouvement, même au niveau de la qualité de la viande, ce n’est pas la même chose!

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Les jeunes générations pratiquent aussi l’élevage, mais peu le pastoralisme, principalement en raison des restrictions de mobilité. Il est actuellement très difficile de se rendre d’une zone à une autre au Burkina, ainsi qu’en dehors des frontières, en raison de l’instabilité politique, des opérations militaires et des mesures contraignantes d’entrée sur le territoire mises en place par les pays côtiers du fait du Covid.

Mais tout ceci n’est pas le danger majeur. La menace principale qui pèse sur le pastoralisme, c’est le changement climatique. En ce moment, dans toutes les zones du Burkina et au Sahel, on observe de grands feux de brousse, qui déciment les pâturages. La succession des saisons a changé, elle bouleverse les calendriers que nous connaissons. Les périodes de sécheresse deviennent très longues, tandis que des pluies intenses s’abattent par la suite et provoquent des inondations. Après la saison des pluies, le pâturage ne veut plus de l’eau, on voit l’herbe pourrir et le pâturage se dégrader. Nous sommes face à une crise pastorale.

A cette menace s’en ajoute une autre: la sécurité des pasteurs et de leurs troupeaux. Ils font face à des vols, qui se sont accentués ces dernières années. Certains groupes armés font même des razzias. Dans le contexte d’insécurité actuelle au Sahel, une grande partie des militaires pensent que les pasteurs sont les vecteurs du terrorisme. Dans certaines zones, les pasteurs et notamment nous qui venons du Burkina, nous nous faisons contrôler, sur la base de notre physique – ce que vous appelez le délit de faciès –, de notre accoutrement, ou parce que nous conduisons un troupeau. Nous sommes automatiquement suspectés d’être liés à des groupes armés terroristes.

Cela menace notre mobilité. Beaucoup de marchés à bétail ont fermé, les flux commerciaux ont chuté, et cela réduit le pouvoir d’achat des éleveurs, qui rencontrent des difficultés pour échanger du bétail contre des céréales.

Nous tentons d’envoyer à la COP27 une délégation avec une personne du Réseau Billital Maroobé pour porter la voix des pasteurs africains, mais le prix des hôtels a explosé à Charm el-Cheikh. Je peux déjà vous dire que nous attendons des négociations plusieurs choses:

  • La reconnaissance de l’apport du pastoralisme dans la lutte contre le changement climatique

L’occupation de l’espace mise en place par les pasteurs constitue une stratégie fondamentale de préservation de la nature. Ai-je besoin de rappeler que nos animaux sont des vecteurs d’ensemencement naturel?

  • La reconnaissance que le pastoralisme permet l’adaptation au changement climatique

Dans les années 70, nous avons connu une grande sécheresse (dont la durée et l’intensité restent inégalées en Afrique sahélienne, et qui a généré famines et déplacements de populations, ndlr.). Quarante ans plus tard, nous avons plus de dix fois l’effectif de bétail d’avant la grande sécheresse. C’est la preuve que la mobilité est une stratégie d’adaptation. Nous lançons même des initiatives numériques, comme des drones ou des puces sous-cutanées pour le suivi de la mobilité des animaux. Les pasteurs savent s’adapter aux changements.

  • La prise en compte de nos conditions économiques

La vie de pasteur est une vie de précarité. Il faut des investissements dans l’agriculture pastorale, dans la sécurisation du foncier, avec des espaces exclusivement réservés à l’activité pastorale. Au Burkina Faso, il y a un accaparement des terres au profit d’autres activités, notamment l’exploitation minière. Il faut vraiment préserver ces réserves.

  • Une politique cohérente de la part des Etats

Les Etats prennent des mesures en contradiction avec leurs engagements internationaux. Nous avons peur qu’ils influencent des événements comme la COP27 pour changer complètement la vision de l’agriculture, voire pire: ignorer complètement le pastoralisme dans les stratégies vis-à-vis du changement climatique. Il y a tellement de crises dans le monde, nous craignons que le pastoralisme ne soit relégué à une place marginale dans les débats.»