Pourquoi on en parle. Le 15 mars, c’était la journée mondiale des droits des consommateurs. L’occasion pour la CFC de se pencher sur «les forces inflationnistes à l’œuvre dans les différents secteurs» et d’esquisser des recommandations aux autorités. Comme certaines hausses de prix sont structurelles, elles sont appelées à se poursuivre ces prochains mois. Les secteurs abordés par le panel d’experts invités vont du marché de l’électricité à la santé en passant par l’alimentation, l’action de la Banque nationale suisse et la surveillance des prix.
Le constat général. «Les consommateurs sont confrontés à une forte pression sur les prix», relève Pascal Pichonnaz, président de la CFC. Et cela dans de nombreux secteurs. Et l’inflation ne montre pas de signes de faiblesse depuis début 2023.
Carlos Lenz, chef du secteur Affaires économiques à la Banque nationale suisse (BNS):
«On n’avait pas connu une telle inflation en Suisse depuis de nombreuses années. Ces 15 à 20 dernières années, on était plutôt confrontés à une inflation négative. Mais tout a changé en 2021 et 2022.»
En cause, les perturbations dues au Covid et le début de la guerre en Ukraine. Le spécialiste de la BNS reste néanmoins positif: «L’inflation chez nous reste bien plus faible que chez nos voisins et que dans la plupart des pays industrialisés».
Un des secteurs les plus touchés par les hausses est celui du marché de l’électricité, avec un pic des prix en août et septembre 2022. Depuis, une nette détente est observée, mais même stabilisés, les prix demeurent exceptionnellement élevés en ce début 2023 par rapport à 2022.
Urs Meister, directeur de la Commission fédérale de l’électricité (ElCom):
«Les prix de l’électricité sont repartis à la hausse en ce début d’année 2023. De quoi faire encore grimper la facture pour les particuliers et la tendance devrait se poursuivre jusqu’en 2024.»
En cause, un changement stratégique sur la fixation des prix de l’électricité en Suisse: on est passé d’un calcul basé sur les coûts de production à un calcul basé sur le prix moyen du marché. Cette évolution couplée au pic de l’été 2022 et à la volatilité du marché explique la hausse. Pour Urs Meister, il suffit qu’EDF annonce avoir «un problème avec une centrale nucléaire en France pour que les marchés réagissent à la hausse». Moins l’offre en électricité est abondante, plus les prix grimpent.
Pour ce qui est de la santé, les coûts augmentent, et les primes avec: +6,6% en 2023. Marc Schneider, co-responsable de la division Prestations de l’assurance maladie à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP):
«Les primes sont devenues une charge très lourde pour les assurés. Les raisons des hausses constantes sont plurielles: démographie, coûts élevés des soins pour les personnes âgées, amélioration de la médecine, offre médicale en augmentation, large catalogue de prestations, prix des médicaments et aussi la crise Covid.»
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Et les actions politiques pour freiner la hausse des coûts et des primes ne permettent pas de faire baisser la facture. A ces éléments, s’ajoutent encore les prix du pétrole et de l’alimentation.
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Ce qui pèse le plus sur le budget. Pour Sara Stalder, directrice de la Fondation pour la protection des consommateurs, la charge sur le budget des ménages est particulièrement forte en matière d’impôts et de primes d’assurance maladie. Ces deux postes de coûts «représentent 30% des revenus».
Si elle constate également la hausse des prix de l’alimentation, elle la relativise:
«Il y a 70 ans, l’alimentation représentait 30% du budget. Aujourd’hui, c’est plutôt 7%. Et il est possible d’économiser jusqu’à 1000 francs par an en cuisinant soi-même et en diminuant le gaspillage alimentaire.»
Stefan Meierhans, surveillant des prix, nuance ces propos:
«Ce 7% est une moyenne. Pour les personnes à faible revenu, la charge de l’alimentation sur le budget peut être bien plus importante.»
Que faire pour les prix de l'alimentaire? Stefan Meierhans dit observer le marché pour éviter un «parasitisme» dans ce secteur, c’est-à-dire des effets d’aubaine: que certains acteurs augmentent leurs marges, sans raison valable, sous prétexte d’inflation. Monsieur Prix s’est d’ailleurs engagé dans une «chasse aux profiteurs» en 2022. La surveillance continue en 2023 et doit éviter autant que possible des hausses injustifiées.
Une solution évoquée durant la conférence serait de créer un Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, à l’image de ce qui existe en France. Stefan Meierhans:
«Ce qui existe en France est une bonne chose. Nous essayons également de mettre cela en place en Suisse, mais avec des ressources limitées. Du coup, on se contente d’aller dans la même direction en poussant la grande distribution à faire preuve de transparence.
Je suis pour la transparence, mais elle ne suffit pas lorsque l’on parle de hausse des prix. Il faut aussi savoir comment un prix est constitué.»
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Une réflexion saluée par Sara Stalder, de la Fondation pour la protection des consommateurs:
«J’estime que la transparence sur les prix ne suffit pas. On devrait être plus courageux et réguler! Mais en Suisse, on préfère laisser le marché agir, observer ledit marché et réagir si ça dérape trop.»
Que ce soit pour l’alimentation, la santé, l’électricité et l’énergie en général, les spécialistes s’accordent sur un point: il faut agir. Stefan Meierhans:
«Les consommateurs vont souffrir. Il faut les soulager. Notamment au niveau politique: beaucoup de choses qui devraient être réformées ne le sont pas. Il faut donc motiver les politiques à agir.»
Le risque de la spirale inflationniste. A la BNS, on n’attendra pas les politiciens. Une hausse des taux d’intérêts devrait être annoncée la semaine prochaine, selon Carlos Lenz:
«Quand l’inflation augmente beaucoup, il existe un risque que les salaires suivent la même tendance. Et on entre alors dans une spirale inflationniste. C’est le rôle de la BNS d’éviter ce genre de spirale. Elle agit donc pour éviter que les prix augmentent trop et elle agit à temps.
Mais nos instruments agissent surtout de manière macroéconomique, pas sur un secteur particulier.»
Les prochains mois nous diront si l’action de la BNS sera suffisante pour maintenir l’inflation aussi basse que possible en Suisse.